Lorsque nous lisions les livres de la Bibliothèque verte, nous pleurions aux malheurs de Rémi racontés pas Hector Malot dans Sans Famille, nous qui avions une famille, c’est-à-dire un lieu où notre mère nous accueillait souvent, plus rarement notre père occupé par son travail ; où nous partagions nos jeux avec nos frères et sœurs, sautions sur les genoux de grand-mère, sous le portrait d’un oncle ou d’un grand-père jamais revenu d’une guerre. Ce n’était peut-être pas la famille de la Manif pour tous, mais chacun y donnait de son amour, souvent plus en gestes qu’en paroles. Nous leur sommes redevables d’être ce que nous sommes.
Jésus avait aussi une famille. Une mère présente jusqu’au pied de la croix, un père absent, des frères aussi. Ce n’était pas précisément la sainte Famille.
Moins encore que hier, la famille d’aujourd’hui ne se réduit pas à « un père, une mère, pas un de plus, pas un de moins« . Elle est de plus en plus une entité mouvante et complexe, composée et recomposée de parents, de beaux-parents, donneurs de gamètes ou d’embryons, parents biologique abandonnant leur enfant, femme ayant porté l’enfant pendant la durée de la gestation. Sans parler des frères et soeurs, des demi-frères, des complices non consanguins de la vie quotidienne… Tous forment la famille dans laquelle chacun doit avoir une place connue, reconnue, intégrée.
Et voici que d’aucuns défendent l’unique famille acceptable, la famille œdipienne calquée sur l’engendrement, instaurant la complémentarité indéfectible des savoir-faire maternels et paternels, et, par là même la hiérarchisation des compétences des hommes et des femmes dans notre société. Ils s’opposent aux filiations homoparentales, à la procréation médicalement assistée pour les femmes célibataires et se méfient de la résidence alternée. Leur entité idéalisée est la famille rose et bleu de la Manif pour tous. Ils dénoncent ces familles où se côtoient deux mères ou deux pères, ces familles au sein desquelles chacun peut trouver une place dans la construction psychique de l’enfant, où l’instinct paternel vaut bien l’instinct maternel, où attachement ne rime pas forcément avec maman, où une belle-mère ne rivalise pas forcément avec une mère. Toutes ces familles dont le nombre ne fait qu’augmenter sont considérées comme de dangereux avatars qui font courir de graves dangers aux enfants qui y vivent.
Dans le passé, le droit a été en évolution constante en regard des mutations de la famille. Il doit en être de même aujourd’hui. Ne permettons pas l’instrumentalisation politique de la famille. Quelle que soit sa nature, sa composition ou sa recomposition, la famille reste la base de la société vers laquelle les jeunes reviennent quand ils rencontrent des difficultés dans la vie. Un lieu où ils seront toujours accueillis et aimés tels qu’ils sont. La famille est d’abord « œuvre d’amour avant d’être une affaire de chromosomes » (Michel Deheunynck). C’était déjà le message de Jésus à ses disciples. C’est aujourd’hui une réalité que tentent de vivre nombre de nos contemporains.
Jean-Paul Blatz
Sommaire
Une urgence : délier nos fardeaux inappropriés – Michel Legrain
Dans l’Eglise catholique, le temps n’est-il pas venu d’œuvrer à promouvoir la vertu de lucidité, donc d’initiatives, donnant ainsi priorité aux valeurs prônées par l’Evangile ? Le moment n’est-il pas propice à s’interroger sur une nouvelle théologie de la famille à l’occasion de la prochaine session du synode ?
Les familles dans l’Ancien Testament – Gui Lauraire
L’Ancien Testament décrit crûment les familles principalement au service de l’engendrement et de type patriarcal. Dans cet environnement souvent dur et cruel apparait pourtant un Dieu qui aime son peuple et qui invite à l’amour fraternel.
Jésus et la subversion de la famille – Jean-Luc Hiebel
Comment Jésus se situait-il par rapport à la famille ? N’opère-t-il pas une véritable subversion de la famille lorsqu’il invite ses disciples à quitter leurs parents de chair pour adhérer à une nouvelle parenté spirituelle ?
La famille idéale telle que la propose la tradition catholique n’existe plus guère – Georges Heichelbech
Livrons-nous à un petit test. Qu’est-ce qu’une famille catholique traditionnelle ? Réponse : un couple qui se marie à l’église sans cohabitation ni relations sexuelles préalables et accepte l’enseignement de l’Eglise sur la contraception. Question : connaissez-vous beaucoup de familles de ce type ?
Familles en tous genres ? – Martine Gauthron
Chaque révolution marquante du vivre-ensemble porte à conséquence sur les modèles et les valeurs liés à la famille, dont le rôle d’humanisation et de socialisation entre en débat avec d’autres institutions. Quels psychologues en tous genres pour des familles et des enfants en tous genres ?
Familles et parentés plurielles – Françoise Gaudeul
La famille dépend du système de parenté de la société qui organise les unions entre individus et l’appropriation des enfants. En fonction de quelles filiations, de quelles règles d’alliances et de quelle sexualité se font-elles ?
Famille « normale » ? Approches de la psychanalyse et de l’Evangile – Nicole Palfroy et Jean-Pierre Schmitz
Qu’est-ce qui structure un enfant ? Le sexe de ses parents ou la libération du désir et de la capacité d’aimer et d’accepter la différence ? Quelques éléments de réponse nous sont proposés par la psychanalyse et l’Evangile.
Travail social auprès des familles précaires – Réjane Harmand
La police intervient brutalement dans un appartement pour arrêter un jeune homme accusé de meurtre. Comment sa famille vit-elle ce double drame ? Quel rôle peuvent jouer les travailleurs sociaux dans une telle circonstance ? Un témoignage vécu.
Jeunes et familles en détresse – Michel Roussel
Plusieurs millions d’habitants de notre pays vivent sous le seuil de pauvreté. Chômeurs et travailleurs précaires cachent leur misère avec beaucoup de dignité. Avec lucidité, un ancien assesseur de tribunal pour enfants s’interroge sur l’échec social de certains jeunes.
Famille homoparentale, et alors ? – Robert Simon
Ma famille ? Elle ressemble à tant d’autres. J’ai trois enfants. L’aîné est issu d’une relation hétérosexuelle. Les deux autres ont été portés par une mère californienne. Pourquoi l’Eglise catholique romaine affirme-t-elle aussi péremptoirement, sans regarder le vécu des familles, que le seul bon modèle est celui de la famille hétérosexuelle unie par les liens du mariage ?
La sexualité et les jeunes chrétiens dans l’Europe du XXIe siècle – Clément Maury
Peut-on être jeune et affirmer son homosexualité dans un pays, la Pologne, où l’influence d’une Eglise catholique conservatrice reste omniprésente aussi bien dans l’espace public que dans la vie privée ? Un jeune jéciste français s’interroge.
Un synode pour ça – José Arregi
Peut-on attendre un miracle lors de la seconde session du synode sur la famille : qu’on y arrête de parler de problèmes d’évêques et qu’on écoute les gens qui souffrent ? Que les yeux s’ouvrent enfin sur l’amour qui habite les couples que les évêques appellent « irréguliers » et qui n’ont pas été invités à ce synode ?
Le mariage dans la tradition de quelques Eglises chrétiennes – Jean-Paul Blatz
Jésus n’a pas exprimé de préférence pour un type unique de mariage ou de famille mais a invité l’homme à vivre dans l’amour du prochain en toutes circonstances. A sa suite, les communautés chrétiennes proposent un accompagnement spirituel adapté aux différentes formes de vie commune.
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