Alors que le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), Mgr Gerhard Ludwig Müller, et le théologien péruvien Gustavo Gutierrez publient la version italienne de leur livre sur la théologie de la libération, L’Osservatore Romano a consacré une double page centrale à ce livre, signe d’une réconciliation longtemps attendue entre le Saint-Siège et cette théologie très implantée en Amérique latine.
« Avec un pape latino-américain, la théologie de la libération ne pouvait pas rester longtemps dans l’ombre où elle a été reléguée ces dernières années, au moins en Europe, écrit le P. Ugo Sartorio dans un long article du quotidien édité par le Saint-Siège. Avec un double préjudice : le fait qu’on n’ait pas encore réfléchi la phase de conflit du milieu des années 1980, d’ailleurs soulignée par les médias qui en ont fait une victime du Magistère romain, et aussi le rejet d’une théologie considéré comme trop à gauche et donc biaisée. »
De fait, Rome n’avait jamais condamné en bloc la théologie de la libération, mais seulement la partie qui utilisait l’analyse marxiste. Sans verser dans ces excès, nombre de théologiens, notamment en Amérique latine, ont toutefois pu être victimes d’une « chasse aux sorcières » au seul prétexte que leurs travaux s’approchaient de trop près de la théologie de la libération.
UNE BROUILLE QUI DATE DE JEAN-PAUL II
Dans le livre, publié d’abord en 2004 en allemand, alors qu’il n’était encore qu’évêque de Ratisbonne, Mgr Müller décrit d’ailleurs les facteurs politiques et géopolitiques qui ont influencé cette perception négative de la théologie de la libération, et notamment le document préparé en 1980 par le « Comité de Santa Fé », exhortant Ronald Reagan « à agir vigoureusement contre la “théologie de la libération”, coupable d’avoir transformé l’Église catholique en “arme politique contre la propriété privée et le système de production capitaliste” ».
« Toute théologie doit partir d’un contexte. Mais la théologie n’est pas dispersée en une quantité incommensurable de théologies régionales, souligne toutefois Mgr Müller dans L’Osservatore Romano. Chaque théologie régionale devrait plutôt avoir déjà en soi une vocation ecclésiale universelle ». Il reconnaît toutefois que les questions posées par la théologie de la libération sont « un aspect essentiel de toute théologie, quel que soit le cadre socio-économique qui l’entoure ».
La brouille entre le Vatican et la théologie de la libération date du pontificat de Jean-Paul II. le pape polonais avait notamment affirmé, en 1979, qu’une « conception du Christ comme homme politique, révolutionnaire, comme le subversif de Nazareth, ne correspondait pas à la catéchèse de l’Église ».
« DÉNONCER L’INJUSTICE SUBIE PAR LE FAIBLE NE SIGNIFIE PAS ÊTRE MARXISTE »
Le début de la réconciliation date du pontificat de Benoît XVI : si, comme préfet de la Congrégation, il avait sanctionné les analyses marxistes de plusieurs théologiens, il a lui-même choisi comme préfet de la CDF Mgr Gerhard Ludwig Müller, ancien élève du P. Gutierrez, considéré comme l’un des pères de la théologie de la libération mais dont les travaux, malgré un examen rigoureux de la CDF, n’avaient jamais été condamnés.
Comme le note de son côté le vaticaniste italien Andrea Tornielli, « avec le pape est venu “du bout du monde”, qui n’a jamais été clément avec les idéologies, ni avec la démarche intellectuelle d’une certaine théologie philomarxiste, mais qui, comme archevêque allait seul et sans escorte visiter les “favelas” de Buenos Aires et parle maintenant d’une “Église pauvre et pour les pauvres”, la réconciliation entre le Vatican et théologie de la libération est accomplie ».
« Avec le préfet de l’ancien Saint-Office qui, dans un livre, appose sa signature à côté de celle du P. Gutierrez, on fait comprendre à tous qu’une Église qui parle des pauvres ne signifie pas le paupérisme et que dénoncer l’injustice subie par le faible ne signifie pas être marxiste, mais seulement et simplement être chrétien », conclut-il.
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