Les Sans-papiers et l’isolement…
Lors de la rencontre organisée par l’Association Culturelle de Boquen les 13 et 14 février derniers, nous avons cherché à mieux appréhender la situation des » Sans-papiers » et nous nous sommes demandés si nous pouvons résister, pourquoi et comment.
L’été 2009, lors d’une rencontre préparatoire dans notre maison de Poulancre, nous avons commencé concrètement, grâce à des jeux de rôle proposés par Anastasia Kerachni, à prendre conscience de ce que peuvent vivre et ressentir les personnes sans papiers et comprendre les différents positionnements que nous sommes amenés à exprimer dans ces situations.
Des scènes au sujet d’un contrôle de titre de transport, d’une visite à l’hôpital et d’une arrestation à domicile ont été l’occasion de développer nos interrogations pour mieux cerner les problématiques et les questions à poser aux intervenants qui viendraient participer à nos débats.
En février 2010, à Rennes, il nous apparaissait important de commencer par nous questionner sur nos propres représentations.
Odile Durand nous y a aidés par la présentation de l’ouvrage de Julia Kristeva, Etrangers à nous-mêmes.
J. Kristeva nous renvoie à une question essentielle pour le XXI ème siècle : comment vivre avec les autres sans les rejeter ni les absorber si nous ne reconnaissons pas » étrangers à nous-mêmes » ?
Prendre le risque de l’inquiétante étrangeté, c’est accepter l’abîme entre moi et l’autre qui me choque. Il m’annihile peut-être parce que je le nie dans sa différence. Face à l’étranger que je refuse et auquel je m’identifie à la fois, je perds mes limites et me sens perdu.
Or cette peur d’être bousculés aujourd’hui peut-être levée lorsqu’avec Pierre et Simone Bourges, nous examinons les déplacements de populations depuis le début de l’humanité.
Ils nous ont invités à reprendre conscience de la réalité des migrations et de la richesse de ces rencontres tout au long de l’histoire….
Ces leçons que l’histoire nous transmet nous amènent à notre époque contemporaine où nos échanges interculturels permettent de corriger nos peurs et de faire face à notre étrangeté radicale rendue visible aussi à travers la poésie, le théâtre, la littérature, l’art…
Les débordements possibles de rejet et de haine demandent des garde-fous personnels et collectifs, un cadre juridique avec une structure suffisamment précise pour contenir les différentes situations vécues par les sans-papiers, d’où des rapports de force à établir pour faire évoluer le droit tant sur le plan national qu’international.
Aujourd’hui, pour la personne sans-papiers, l’expérience de la non-appartenance à une communauté nationale devient insoutenable parce qu’elle est aussi disqualifiée dans la reconnaissance de ses droits humains, de ses droits à la santé, au travail, à l’éducation du seul fait qu’elle n’est pas citoyenne.
Concrètement, en visionnant le film Welcome de Philippe Lioret (2009), nous prenons la mesure de l’impact de la rencontre, à Calais, entre un maître-nageur français et un jeune homme Kurde sans-papiers qui voulait rejoindre l’Angleterre à la nage, seul moyen pense-t-il d’échapper aux contrôles de frontière.
Les différentes instances et associations invitées nous montrent nous montrent les liens qu’elles nouent quotidiennement afin que ces personnes puissent accéder aux droits qui les concernent et recevoir le soutien humain dont elles ont besoin.
Un aumônier musulman de prison, la CIMADE (service oecuménique d’entraide), le Cercle de Silence de Rennes, le DAL (Droit au Logement), la municipalité de Rennes, le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les peuples), le Secours Catholique, le RESF (Réseau Education Sans Frontières) étaient présents à notre table ronde.
Nous avons débattu autour des quatre questions suivantes :
Qu’est ce qui vous a amenés à intervenir, dans la structure où vous êtes, sur la question des Sans-papiers ?
Quelle est l’actualité de vos interventions ?
Quelles sont les difficultés rencontrées et qu’avez-vous réussi à faire bouger ?
Comment trouver un équilibre entre le soutien au cas par cas et les actions collectives de revendications ?
Quoique d’approches différentes, ces associations et instances se connaissent et souhaitent la complémentarité en vue d’accompagner au mieux ces personnes.
Les deux intervenantes de RESF ont présenté les cadres juridiques et administratifs dans lesquels peuvent se retrouver les personnes sans-papiers .
Elles se sont appuyées sur l’existence d’un CRA – Centre de Rétention Administratif – à Rennes pour nous faire toucher du doigt leur expérience de terrain (par exemple les délais à respecter pour engager un recours) et la complexité des situations des personnes retenues.
On retrouvera l’essentiel de leur intervention dans les deux petits guides pour comprendre les migrations édités par la CIMADE.
Un représentant de RESF a le souci de nous amener à comprendre que leur association aide aussi à la constitution de collectifs de soutien à des personnes sans-papiers, comme des groupes de parents d’élèves.
Les municipalités, bien que n’ayant pas les compétences pour agir directement auprès des préfectures, peuvent apporter un soutien individuel aux personnes sans-papiers par le biais des CCAS – Centre Communal d’Action Sociale -, par des parrainages républicains et par leur soutien dans certaines manifestations.
Les cercles de silence existant depuis 2007 à l’initiative des franciscains de Toulouse ont quant à eux la volonté de faire connaître la situation intolérable, au regard des Droits de l’Homme, faite aux personnes retenues dans les CRA, et cela de manière non-violente et silencieuses (cf. Matthieu, 25, 35 : » … j’étais un étranger et vous m’avez accueilli… « ).
L’aumônier des prisons musulman, connaissant la détresse des Sans-papiers retenus, a demandé à intervenir également au CRA de Rennes pour un soutien moral et amener progressivement l’administration à aménager, dans la mesure du possible, des conditions plus humaines – nourriture hallal, petit tapis de prière – dans le respect d’un lieu laïc.
De la même manière, le Secours Catholique a su progressivement apporter sa présence au CRA au fil des ans, par exemple un apport chaleureux autour de Noël, dont le temps s’est élargi au cours de ces trois dernières années.
Le Secours catholique a également construit un réseau de visiteurs ayant bénéficié de formations.
Le MRAP met avant le devoir d’information aux citoyens en vue de dénoncer les injustices.
Leurs bénévoles accompagnent des personnes sans-papiers dans leurs démarches au tribunal ou à la préfecture.
Il réalise un travail concernant les effets de la rétention sur la santé mentale de ces personnes.
Le DAL, surtout sollicité par les demandeurs d’asile, accompagne également les personnes sans-papiers en vue de l’obtention d’un logement.
Il veille également au respect et à l’application pour tous des dispositifs existant en matière de logement.
En conclusion, les apports de cette rencontre font ressortir notre devoir de citoyen de bien s’informer pour participer au combat contre les injustices qui s’accroissent au fur et à mesure que grandit l’isolement des Sans-papiers.
Anastasia Kerachni et Marie-Paule Aude-Drouin.
Une question essentielle : comment vivre avec les autres sans les rejeter ni les absorber si nous ne nous reconnaissons pas » étrangers à nous-mêmes » ?
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