ls sont huit jeunes, à avoir accepté de témoigner et de débattre ensemble de la spiritualité qu’ils vivent à Taizé.
Leurs situations, leurs histoires sont différentes, mais ils ont en commun, outre Taizé, des engagements forts dans le monde : mouvement de chômeurs, ATTAC, CCFD, etc. Ils se reconnaissent en général aussi dans la mouvance de Parvis ; deux d’entre eux sont adhérents de NSAE (Nous Sommes Aussi l’Eglise).
L’expérience de Taizé
Un article publié du numéro 19 de la revue Parvis, de septembre 2003.
Benoît et Alice sont étudiants en histoire : le premier en licence, la seconde en thèse; Kristian, le compagnon d’Alice, est ingénieur ; il est l’unique protestant du groupe ; Christophe et sa compagne, Elisabeth, sont également engagés dans la fraternité laïque franciscaine; Aneta est polonaise et vit depuis 12 ans en France ; elle a passé plusieurs mois à Taizé; Daniel a connu une période difficile de chômage et de reconversion; il a pratiqué le Yoga et le Zen.
Ils ont participé au « Pèlerinage de confiance sur la Terre », en décembre dernier à Paris et se sont impliqués dans son organisation, ce qui a conduit ceux d’entre eux qui ne se connaissaient pas auparavant à se croiser.
Une dimension de Pentecôte
Christophe ouvre le débat : « la spiritualité, c’est le sens qu’on donne à sa vie, vie intérieure et vie relationnelle ; pour un chrétien, elle s’ancre dans une tradition ; elle met en jeu la prière, l’Écriture et la relation à autrui. à Taizé, on vit une expérience presque physique d’universalité dans la prière, les chants, les échanges ». Expérience dont Aneta dit qu’elle lui a permis de sortir de la religiosité et lui a apporté une véritable alternative à la façon de vivre la foi.
Tous s’accordent à reconnaître aux rencontres de Taizé une spécificité qui repose sur un retour à l’essentiel ; on y vit une expérience forte de partage, que ce soit dans la prière silencieuse, les chants ou les échanges en groupe, malgré la diversité des langues, des origines, des pratiques religieuses des uns et des autres ; chacun y puise le dynamisme qui le renvoie aux responsabilités de sa propre vie. Tout cela donne à ces rencontres une véritable dimension de Pentecôte.
La simplicité de la prière
« Tout est dans la simplicité, tant du chant que des paroles ; on est assis par terre, les uns à côté des autres, ce qui augmente la proximité » (élisabeth). Le chant simple, répétitif, inspiré de la spiritualité orthodoxe, permet de se dégager des contraintes intérieures pour se rendre disponible. « La simplicité est apparente, mais en fait très préparée, sophistiquée même : elle favorise la méditation » (Kristian). « Il ne s’agit pas, comme dans le bouddhisme, de la recherche d’un détachement complet, mais de celle d’une relation à Dieu comme une personne, comme un vis-à-vis » (Benoît). « C’est une prière qui n’enferme pas, une occasion de repenser ce qui s’est passé récemment » (Kristian). « C’est une rencontre avec Jésus qui ne dit pas ‘j’ai la vérité’, mais ‘je suis la vérité’ ; il ne s’agit donc pas de se conformer à ce qui serait la doctrine de Jésus, mais à trouver la personne de Jésus à travers des paroles, du vécu, le concret de la vie » (Christophe).
Faire silence et faire la paix en soi
La prière répétitive aide à faire le vide en soi : Daniel lance un débat sur cette pratique : « la prière met dans un état émotionnel dont on n’a pas nécessairement conscience et qui peut faire confondre ‘l’incarnation du divin dans le cœur’ avec un état hypnotique ». Alice reconnaît s’être méfiée au départ de ce type d’emprise ; « mais non, la spiritualité de Taizé est toujours concrète ; elle demande un effort permanent de chacun. La dimension internationale exige d’être constamment confronté aux langues : on apprend les paroles des chants dans toutes les langues, du latin au polonais… ; c’est cet effort même qui est la condition de la rencontre avec l’autre ». Faire le vide, c’est « ranger dans sa tête », lâcher prise (Christophe). Faire silence et faire la paix en soi-même non pas seulement pour soi, mais pour se tourner vers les autres : Benoît souligne le paradoxe d’un vide débordant, qui encourage à se tourner vers les autres. Et tous précisent que les frères de Taizé s’interdisent toute forme d’emprise : la liberté de chacun est toujours respectée : « vous avez vécu un moment fort; maintenant, à vous de vous investir de retour chez vous ».
La prière : une contre-performance
« On vit dans une société où il faut aller vite, être performant ; on est rempli de plein de choses ; la prière est subversive : elle implique la lenteur, un silence physique et intérieur ; elle met en dehors du temps. Et cette expérience là apporte aussi un plus dans les relations aux autres » (Christophe).
Aneta décrit son cheminement : « en Pologne, j’étais à bout de ressource, ma foi usée; on me demandait trop, et c’était insupportable; et voilà qu’à Taizé, dans le silence impressionnant de 20 000 personnes en prière, j’ai entendu la petite voix d’un vieil homme qui disait ‘Même ton très peu de foi suffit’; cette parole m’a rendu l’espoir; la vie spirituelle ne m’était pas fermée, même si je ne croyais plus à tout ce que me dit la ‘sainte Église catholique’ ». Benoît insiste aussi sur l’expérience du silence : « dans la vie courante, en famille, le silence est associé à des conflits – des moments où l’on ne peut plus se parler; l’expérience de silence que j’ai vécue à Taizé était tout le contraire: sans se parler, on se comprend et on communique ».
L’expérience du partage en groupe
Les frères de Taizé cherchent à donner la possibilité aux jeunes de tous les pays de se rencontrer. « Mais il n’y a, dans ces rencontres, jamais aucune obligation » (Alice). On vit à Taizé une dimension de liberté, dans le respect de ce qu’est chacun; « une liberté qui n’est pas celle de la société, qui privilégie le plus fort ; c’est un véritable miracle qu’on arrive à se parler alors que nos origines sont aussi différentes » (Benoît). Comme dans la prière, « le rythme est lent, les phrases simples » (Elisabeth) ; il faut faire l’effort de s’intégrer au groupe; mais la lenteur – nécessitée par la diversité des langues – facilite l’intégration, et en particulier celle des timides ; « c’est très différent de ce qui se passe dans les églises où on doit se plier à un rythme imposé; c’est tout de même aussi une difficulté : on reste frustré de ne pas pouvoir aller au fond… » (Kristian). Daniel trouve aussi que le débat n’est pas facile. Pour lui, le courant n’est pas passé: il s’est senti isolé, à porter seul son problème de perte d’emploi. A quoi Christophe répond que l’échec est la rançon de la liberté d’organisation du débat par les jeunes eux-mêmes. Aneta souligne qu’il ne faut pas ignorer non plus que là comme ailleurs les diversités de culture peuvent isoler: elle se souvient d’avoir très mal vécu une petite bataille entre jeunes à coup de morceaux de sucre – gâchis impensable quand on vit dans un pays où tout manque – …
La dimension œcuménique
« On est au-delà du clivage des confessions » (Christophe); cependant Kristian reconnaît qu’un protestant a du mal à s’habituer aux icônes (!) et avoue une certaine déception, à la hauteur peut-être de son attente de dépasser les barrières des confessions, qui était grande, et perçoit une emprise catholique grandissante. Mais ce qu’il vit à Taizé lui démontre que ce qui rend différent est moins important que ce qui rassemble. « On vit une expérience de partage sans renier son histoire personnelle » (Benoît). Aneta explique la difficulté de remettre en cause ce dont on a été imprégné depuis l’enfance et qui vous a structuré : « il n’y avait pour moi qu’une seule route, que ça me plaise ou non ». à Taizé, elle vit un véritable œcuménisme… y compris entre catholiques: elle découvre que d’autres ont la même interrogation; on s’accepte différents, mais on se reconnaît autour d’une foi dépouillée. à Taizé, on renvoie chacun à son église : « on ne critique pas d’où tu viens, on t’apprend à vivre par toi-même: ça, c’est une véritable dimension d’église ! » (Benoît).
En route
Tous s’accordent à souligner que les rencontres de Taizé sont la bouffée d’oxygène qui donne le courage et la force de repartir. « Le pèlerinage de confiance sur la Terre ne s’est pas terminé le 1er janvier à Paris : il se poursuit, là où nous sommes » (Benoît).
Nous laissons la conclusion à Aneta, qui lit cette phrase d’un visiteur de Taizé : « On passe à Taizé comme on passe près d’une source ; le voyageur s’arrête, se désaltère et continue sa route ».
Propos recueillis par Lucienne Gouguenheim
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Autres articles et sites à propos de Taizé
Un article évoquant l’évolution de Taizé depuis le Concile des jeunes de 1974 à nos jours:Eglise, que dis tu de ton avenir ?
Le site officiel de la communauté de Taizé.
Un très bon article analytique et sociologique sur l’évolution de Taizé: Croyances religieuses, morales et éthiques dans le processus de construction européenne – La Communauté de Taizé : maturation d’un haut lieu chrétien de socialisation européenne. par Fabien Gaulué
Une sélection de liens vers des sites de mouvements de jeunes.
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