L’enfermement carcéral aujourd’hui
L‘enfermement fut longtemps le seul moyen utilisé par l’Etat pour punir les délinquants et les soustraire à la population qu’ils risquaient de mettre en danger. Une fois rassurée par la mise hors d’état de nuire des « monstres », la société ne n’inquiétait guère du devenir de ces gens privés de liberté, et oubliait qu’une fois la peine purgée, ils réintégreraient la vie parmi eux.
Depuis la sortie du livre du médecin Véronique Vasseur Médecin-chef à la prison de la Santé (2000, éd. du Cherche-Midi) dans lequel elle dénonce les manquements d’humanité dans les lieux de détention, l’opinion publique est davantage sensibilisée à ces problèmes et les médias plus diserts ; nous sommes régulièrement informés de la surpopulation dans les prisons qui empire d’année en année et va au-delà de l’admissible : 117,3% d’occupation au dernier recensement (avril 2012). Ce taux varie beaucoup d’un centre à l’autre : moins de 100% pour certains, plus de 200% pour d’autres.
Il est peut-être utile de rappeler que les maisons de rétention (ou maisons d’arrêt) accueillent les présumés coupables en attente de jugement quand la justice les considère comme dangereux pour la société (il n’est pas rare que leur jugement les reconnaisse innocents et qu’ils aient purgé une peine parfois de plusieurs années sans être sans être coupables !).
On y trouve aussi des condamnés à de courtes peines quand la prison ne peut les accueillir. Les prisons, elles, accueillent les condamnés qui se trouvent en principe seuls dans la cellule, plus rarement à 2 ou 3.
Le recours trop systématique à la détention provisoire pour les prévenus et à l’emprisonnement pour les condamnés, ainsi que l’allongement de la durée des peines sont les principales de cette surpopulation dans les prisons. En outre, de plus en plus de personnes en détention ne devraient pas s’y trouver (malades mentaux, étrangers en situation irrégulière). Par ailleurs, l’augmentation de certaines formes nouvelles de délinquance (trafic de drogue, délinquance sexuelle, délinquance juvénile, violences urbaines) favorise le sentiment confus d’insécurité.
Dans une politique du tout sécuritaire, le législateur demande à la justice de mettre sous les verrous les délinquants, afin de rassurer la population.
On pourrait multiplier les exemples de non-droit et de manque d’humanité dans les lieux de détention. Il y a certes l’insuffisance de personnel et notamment de travailleurs sociaux, à qui le détenu peut se confier, le manque de structures sécurisées de soins notamment pour les détenus atteints de névroses ou maladies psychiques, mais il y a aussi des pratiques inhumaines qui persistent toujours, dans le but d’une sécurité totale, comme la fouille au corps, humiliante et la plupart du temps inutile, mais aussi le maintien des menottes sur les lits d’hôpitaux, la présence d’un gardien lors des visites médicales (donc violation du secret professionnel), le mitard (prison dans la prison où le fautif est souvent traité avec une véritable cruauté comme l’obligation de rester sans vêtement ni couverture pendant le temps de sa punition) et, enfin, l’impossibilité matérielle (faute de moyens, notamment de personnel) d’appliquer certains décrets ou certaines lois.
Dans le climat souvent sordide qui règne dans les prisons et surtout les maisons d’arrêt (la promiscuité, cause de manque d’hygiène, de bruit, de disputes, engendre la violence et les dépressions qui vont souvent jusqu’aux automutilations et aux suicides – 1 tous les 3 jours, 3 tentatives par jour, en moyenne), les relations avec l’extérieur sont essentielles : elles sont assurées sous de multiples formes, par les aumôneries ou les organismes divers qui sont à la fois à l’écoute des personnes incarcérées et de leurs familles et qui oeuvrent aussi pour une prison visant la reconstruction de l’humain ; ils demandent également que soient substituées d’autres sanctions à celle de la prison qui détruit l’être humain plus qu’elle ne le prépare à une réinsertion dans le monde. La prison n’étant pas le remède absolu au mal-être social, la solution n’est pas dans la multiplication de places en détention, mais dans des mesures alternatives à l’incarcération ou d’aménagement de la peine, comme le travail d’intérêt général, le sursis avec mise à l’épreuve, l’ajournement du prononcé de la peine avec obligation de réparer les dommages faits à la victime, la semi-liberté, la liberté conditionnelle, la surveillance à distance avec le bracelet électronique. Ces mesures se développent d’ailleurs depuis quelques années. On suit avec intérêt les projets de l’actuelle ministre de la Justice qui vont dans ce sens.
L’aumônier mérite presque aujourd’hui l’appellation d’auxiliaire de justice. La confiance est le maître-mot qui régit les rapports entre le directeur de la prison et lui. Il représente « une valeur sûre » en terme de respect d’une déontologie très forte et peu susceptible de « dérapages ». Il faut souligner que la qualité de cette relation concerne également les rapports qu’entretiennent l’aumônier et tous ses interlocuteurs dans la prison. L’aumônier représente, à ce titre, un « catalyseur » de relations authentiques entre les êtres humains dans un milieu artificiel. En effet, outre le fait que son action est bénéfique sur le plan individuel, ses effets consolident les efforts d’insertion qui peuvent être entrepris. Cette volonté de ne pas rompre les liens avec le tissu extérieur se manifeste aussi par l’élargissement des équipes d’aumônerie qui comprennent de plus en plus de personnes extérieures participant aux activités organisées à l’intérieur de la prison. Les aumôneries mènent un travail remarquable dans les lieux de détention et font avancer le sort des prisonniers (ils visitent tous les prisonniers qui le désirent, ne se bornant pas aux croyants de leur religion). S’y emploient aussi des associations non confessionnelles, non gouvernementales, non politiques, en bref, pouvant s’exprimer librement ; elles jouent un rôle important pour médiatiser les problématiques de l’incarcération et de la détention, et aider à la réinsertion des personnes détenues. On peut citer l’OIP (Observatoire international des prisons), dont une antenne a été créée en France il y a une quinzaine d’années (voir page suivante), ou BAN Public (association loi 1901), qui se veut un lien entre le dedans et le dehors afin que la prison devienne l’affaire de tous. Elle développe son action autour d’un réseau internet (prison.eu.org) permettant à toutes les personnes qui s’intéressent au problème de la prison de se mettre en réseau.
Tous les bénévoles qui s’investissent dans ces organismes contribuent à combattre l’enfermement et améliorer les conditions de détention. Ce dossier leur donne la parole dans les articles qui suivent.
Mais pour que leur oeuvre aboutisse pleinement, il est nécessaire que tous, nous prenions conscience que l’on ne pourra effectivement améliorer le sens et l’objectif de réinsertion que par une action commune, donc un changement des mentalités : trop de pétitions encore pour s’opposer à l’implantation d’établissements de réinsertion ouverts, à proximité de communes ; trop de jugements hâtifs à l’égard des délinquants, voire même de famille, laissant supposer que la rédemption est impossible pour un justiciable ayant attenté à la sécurité d’autrui. La sécurité ne peut jamais être totale puisque des crimes graves se perpétuent quotidiennement malgré le nombre d’incarcérations. La prison est une société en miniature, avec les mêmes besoins pour chaque individu, de dignité, d’amour et de droit à envisager un avenir et non pas être sans cesse confronté à un passé dont ont été payées les déviances.
Nicole Palfroy.
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