Le 22 mars au matin, j’ai reçu ce courriel : « La nuit dernière, Hélène nous a quittés tout simplement dans son sommeil ! Un départ sans lutte, en douceur. Elle a été efficace toute sa vie et sans faire de bruit ! Elle nous manquera ». L’essentiel est dit dans ces mots avec la beauté sobre qu’Hélène aimerait tant.
Oui, elle nous manquera. Et en même temps, au fond de l’absence et du chagrin, nous reconnaîtrons ce qui nous reste d’elle. Infiniment plus qu’un simple souvenir éphémère. Il nous reste sa vie profonde, sa force vitale, sa générosité sans réserve. Il nous reste le Souffle sans commencement ni fin qui la rendait si vivante et vivifiante. Il nous reste la Plénitude qui l’a habitée, l’Infini qui a pris forme en elle, le Tout auquel elle est revenue –duquel elle n’est jamais partie– après avoir tout donné. Il nous reste la tâche à accomplir dans cette histoire étroite qui est la nôtre, que nous mesurons en espace et temps. Et, au-delà de toute mesure, il reste la confiance que toute étroitesse de l’espace et du temps est une ouverture sur le Présent infini, sur la Présence accomplie. Nous sommes des êtres de passage, nous vivons dans la Pâque, la mort est le dernier passage, le dernier don.
Hélène Dupont. Une femme forte. Pas exactement la « femme forte » célébrée dans la Bible comme une « perle rare », appliquée « au fuseau et à la roue », la femme sein et ventre, pudique et soumise aux hommes et à l’ordre dicté par les lois du pouvoir. Tu n’étais ni dominatrice ni soumise, mais libre et passionnée de libération, pleine de force subversive et pacifique. « Quelqu’un d’exceptionnel », comme me l’a dit l’amie commune, “de celles qui luttent contre vents et marées et ne lâchent rien”.
C’est déjà beaucoup d’enfanter et d’élever quatre enfants, une aventure héroïque quotidienne, un enfantement tous les jours jusqu’au dernier souffle. Et c’est déjà beaucoup d’être professeur de français, d’initier à l’indicible profondeur du réel, à ses défis et ses promesses, à travers les dessous et les éclats de la parole, du récit, du poème (quelle chance pour ceux et celles qui t’ont eu comme professeur de langue !). Cela ne suffisait pas à ton inépuisable énergie créatrice, à ton irrésistible élan libérateur. Partout où la vie criait ses joies et ses peines, tu y allais. Tu étais une disciple extraordinairement avancée du prophète Jésus de Nazareth, ton inspiration profonde. Aux racines de ton être, tu étais animée par le même esprit jubilaire qui, au milieu de la synagogue de Nazareth trop docile et attachée à la lettre, l’a conduit à se lever et à déclarer : « J’ai reçu l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. J’ai été envoyé proclamer aux captifs la libération, renvoyer les opprimés la liberté » (Luc 4,18). C’est ce que tu as fait.
« On la trouvait partout –me dit la même amie–. Aux Cercles de Silence organisés par les Franciscains sur la Grand Place du Capitole de Toulouse pour dénoncer les conditions de détention des immigrés sans papiers. Chez les Humanistes, chez les Protestants avec le fameux Pasteur Parmentier, ou récemment à une célébration œcuménique avec l’Eglise réformée de France et les LGBT… Elle fut aussi, plus jeune, visiteuse de prison ». Et membre de l’association « Les amis de Gikongoro », en mémoire critique des massacres commis au printemps 1994 dans la préfecture de Gikongoro au Rwanda. Elle était également membre du « Mouvement national LE CRI. Pour un monde sans exclusion ». Et confondatrice de « La Peña Columérine », pour la diffusion de la culture espagnole. Entre bien d’autres engagements…C’est elle aussi qui –je tiens à le souligner– a voulu et rendu possible que ces humbles textes soient traduits et publiés en français, en réunissant une extraordinaire équipe de traducteurs, coordonnée par elle : Edurne Alegria, Rose-Marie et François-Xavier Barandiaran, Peio Ospital, Dominique Pontier. Et je dois mentionner une autre de ses tâches à laquelle elle a consacré ses immenses dons d’organisatrice, de coordinatrice et bien plus encore : elle a été cofondatrice (en 1995) et présidente pendant de nombreuses années de « Partenia, un espace de liberté », un diocèse virtuel sans frontières présidé par Mgr Jacques Gaillot, après sa destitution par Jean-Paul II du siège épiscopal d’Évreux.
« Bref –dit notre amie–, elle était partout où une bonne cause devait être défendue, mais, ‘perfide’, elle envoyait à l’évêque de Toulouse pour chaque réunion de Parténia l’Evangile de notre méditation ! Certains retiennent sa silhouette imposante drapée dans un poncho et surtout la longue natte qui lui tombait jusqu’au reins à l’époque. Et tout cela sans faire de bruit : aux réunions, elle commençait par donner les nouvelles et c’était tout, on ne l’entendait plus de la soirée ».
Hélène, tu as été une prophète de la parole et de l’action, de l’imagination créatrice, de la présence animatrice. Et oui, tu as aussi été prophète du silence. Du silence source, du silence profond, d’où jaillit et auquel aboutit toute parole vraiment prophétique, qui engendre la vie. C’est dans le silence que naissent la parole et l’action, la parole incarnée sous toutes ses formes.
Au terme de ta longue vie féconde, tu as fondu ton dernier souffle dans le Souffle silencieux et vigoureux de la Vie, en te disant toute entière. « Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse », comme déclare le loup dans le poème « La mort du loup » d’Alfred de Vigny, qu’Hélène a récité lors des obsèques de son mari, près de son cercueil (il fallait le faire !).
Merci, chère Hélène ! Dans ce monde troublé, en cette heure d’incertitudes et de menaces croissantes, tu es avec nous. Ta prophétie est toujours d’actualité. L’imbattable esprit consolateur et transformateur de Jésus que tu as incarné, ton esprit inébranlable nous pousse, ton silence nous montre le chemin de l’accomplissement, éternellement futur et éternellement présent.
Tu as accompli ta tâche. Repose-toi, vis en paix et, dans ta paix, marche avec nous, affermis nos pas.
Aizarna, 28 mars 2025
Traduction Dominique Pontier
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