Accueil des familles dans une Centrale
Elles arrivent portant de gros sacs. Beaucoup sont accompagnées d’enfants. Week-end après week-end, ce trajet, parfois bien long, cette visite à celui qui les attend, seront pendant bien des années le seul objectif de leur fin de semaine. Elles… car 96 % de la population carcérale est composée d’hommes, et les plus fidèles à tenir dans la durée pour apporter soutien, affection, et nouvelles sont leurs compagnes ou leurs mères. Bien sûr viennent aussi des frères, et « compagnons de lutte », corses ou basques, passer quelques ceux qui ont été condamnés à de longues peines. Pendant 18 ans j’ai participé à l’accueil des familles des détenus d’une centrale. Cette centrale a été une des premières à bénéficier d’un accueil des familles, initiative d’un couple ému par la longue file d’attente sur le trottoir, debout, par tous les temps, exposée au regard des « honnêtes gens ». Etre proche ou famille d’un condamné vous enferme souvent, aux yeux des autres, dans la catégorie des complices et vous revêt d’un habit de honte.
Il y a quelques années, la salle d’attente avant l’appel pour le parloir était immonde, recouverte de salpêtre, mal éclairée. Nous la décorions, offrant avec notre sourire et une oreille attentive quelques boissons et douceurs. Maintenant, les gens n’attendent plus avant d’entrer, la salle est lumineuse, mais le stress demeure. L’accueil des gardiens est dans cette centrale relativement bon, comparé, d’après les familles, à celui de nombre de maison d’arrêt et en particulier de Fresnes où la vétusté et la saleté des couloirs que doivent emprunter les familles sont repoussantes. Mais les gardiens sont de l’autre côté des grilles et du mur et les visiteurs, consciemment ou pas, sont solidaires des détenus et donc pas souvent en empathie avec les gardiens. Ce qui crée des tensions. Les uns ont des consignes à faire respecter, il est vrai peut-être sans nuances, les autres, la plupart des blessés de la société, revendiquent des droits qui peuvent nuire à la sécurité de tous. A nous d’essayer de faire prendre la mesure de chaque chose.
Chacun arrive avec sa souffrance, souvent celle d’un quotidien difficile, d’une vie brisée, à laquelle s’ajoute un poids d’angoisse, celle d’ignorer dans quel état d’esprit sera celui qu’ils viennent visiter. Sera-t-il déprimé, revendicateur, possessif, jaloux, violent, anéanti ? A nous d’écouter toutes ces attentes et ces craintes, leur permettre de se libérer par la parole. Souvent certains nous ont dit : « votre présence, votre accueil m’ont permis de tenir… A vos yeux nous sommes quelqu’un ».
Combien d’enfants, dont certains ont été conçus au parloir, n’auront connu que ce « loisir » pendant toute leur enfance, chaque fin de semaine ? Ils viennent voir « papa », lui amènent dessins et bulletin scolaire. A l’école personne ne sait où est le père. Comment pourraient-ils soutenir alors le regard des autres ? Les tout petits n’en ont pas conscience. Ils sont même heureux de pouvoir vivre quelques heures, jusqu’à trois jours dans une unité de vie familiale, que cette centrale a été la première à posséder. Un duplex agréable mais où bien sûr la famille reste enfermée tout le temps. Ce temps familiale où on réapprend à vivre ensemble est un immense progrès même si on peut deviner le choc du détenu qui retrouve sa cellule et la tristesse de celle et ceux qui devront attendre plusieurs mois pour vivre ce temps de retrouvaille.
Dès la préadolescence l’attitude des enfants avec le père change, et beaucoup ne veulent plus venir, honte, lassitude bien compréhensible, rejet d’une autorité que leur père veut exercer alors qu’il leur apparaît désormais comme quelqu’un qui n’a pas respecté les règles. Parfois ce sont des enfants qui sont obligés de venir voir le nouveau compagnon de leur mère. Chaque semaine des bénévoles accueillent plus spécialement les enfants, jeux, travaux manuels, histoires, pour rendre ce temps de parloir plus agréable et permettre un peu d’intimité aux adultes.
Nous oublions trop souvent la détresse des familles de détenus, victimes passives, mais liées à la condamnation d’un des leurs, enfermées dans le même opprobre, le même chemin d’attente, enfermées dans une vie où tout est polarisé par les visites qui n’apportent que rarement le bonheur.
Claude Dubois.
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