Demandeurs d’asile et droits humains.
On ne peut qu’être frappé par le caractère extrêmement complexe des questions qui touchent au droit d’asile. Ce droit, qui est directement en relation avec les conflits qui éclatent sur la planète, et qui est assez peu en relation avec les réalités politiques françaises, représentait il y a deux ou trois décennies quelque chose de positif, dans l’inconscient collectif et dans la façon dont on le traitait au niveau des pouvoirs publics. On venait du Chili, ou d’Asie du Sud-Est.
Rappelez- vous les boat-people. On s’engageait alors dans une cause « noble ». On défendait les « Droits humains ». Aujourd’hui, on assimile volontiers les demandeurs d’asile aux sans-papiers ordinaires, et on prend prétexte de cela pour durcir la position officielle à leur égard. On dresse le plus grand nombre possible d’obstacles devant celui qu’on considère a priori comme un fraudeur potentiel, et on établit des procédures de sélect ion, ce qui revient à provoquer un certain nombre d’incohérences, puisqu’on s’éloigne alors inévitablement des object ifs de l’asile politique. L’OFPRA (Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides) est l’instance décisionnelle.
La provenance des « réfugiés » varie évidemment de manière considérable au fil des années. Ils viennent en grand nombre de Tchétchénie, du Daghestan, du Kurdistan turc. Aujourd’hui, on voit aussi arriver de nombreux Bangladais et Sri-Lankais. Ils sont le plus souvent les victimes de conflits dans lesquels ils se sont trouvés embarqués malgré eux, en apportant, par exemple, une aide logistique aux mouvements de rébellion. S’ils se sont trouvés engagés dans des actions militaires, ou bien ils sont restés sur place, ou bien ils sont morts, ou encore ils le taisent, puisque c’est une cause fréquente du refus de les accueillir. La règle n’en reste pas moins que le demandeur doit prouver qu’il est mis en danger, et c’est là le noeud du problème. Comment fournir un vrai document qui va dans ce sens ?
Le demandeur est-il fiable ? Est-il particulièrement peureux ? Son arrestation a-t-elle été réelle, ou crainte ? Les fonctionnaires de l’OFPRA doivent donc s’en remettre à une « intime convict ion ». Il est clair qu’on voit alors s’affronter deux subjectivités. La situation des fonctionnaires de l’OFPRA (« Officiers de protection ») n’est pas si simple : chacun mène en moyenne deux, trois entretiens d’une heure par jour, puis rédige un rapport circonstancié après chaque entretien. Ce rapport est ensuite proposé à la signature du supérieur hiérarchique. Le nombre total de fonctionnaires est d’environ 650. Presque tous se trouvent à Paris (Fontenay-sous-Bois). Il y a une antenne en Guadeloupe, et du personnel détaché à la Cour Nationale du Droit d’Asile. Cet organe est l’instance d’appel en cas de rejet par l’OFPRA. On observe donc un fonctionnement très pyramidal.
Il existe en fait deux asiles politiques : d’une part, celui qui est accordé par l’OFPRA, selon les règles de la Convention de Genève signée en 1951 par plus d’une centaine de pays, et qui conduit à l’octroi du statut officiel de « réfugié » politique ; d’autre part, le droit d’asile d’État, totalement « régalien », qui dépend de la volonté politique au plus haut niveau, et qui remonte à la constitution de 1793. Le deuxième (le droit d’asile) peut être accordé, ou retiré. C’est ce que l’on a vu très clairement dans l’affaire Cesare Battisti, ou dans celle de Maria Petrella. Dans le passé, la République française a ainsi accueilli des représentants des Black Panthers, ou des Basques espagnols. On sait ce qu’il en est aujourd’hui de la situation des membres de l’ETA. Cependant, la France a commencé de recevoir des membres repentis des FARC sur décision du Président de la République. Il y a eu, en 2007, 23 000 demandes d’asile politique, dont 11% ont été satisfaites en première instance, mais le taux est monté à 30% après réexamen et décision en appel. On a ainsi d’assez bons résultats depuis 2005, car les victimes du conflit en Tchétchénie ont été jugés favorablement, comme les fillettes maliennes risquant l’excision. Mais il y a eu un revirement en juillet 2008 pour les Maliens.
Il est à noter que tous les conflits ne génèrent pas forcément des demandes. Par exemple, il n’y a pas eu de demandes de Touaregs. Et si l’on considère la guerre d’Irak, on observe qu’elle a généré plusieurs millions de « réfugiés politiques », qui se trouvent majoritairement dans les pays limitrophes (Syrie, Jordanie), ainsi qu’en Suède (quelques dizaines de milliers), parce que ce pays a une importante communauté irakienne. Il y en a très peu en France. Leur souci premier était clairement d’être accueillis par des proches. Quelle est la situation d’un « réfugié » ayant obtenu le statut officiel ? Elle est identique à celle de n’importe quel immigré ayant un titre de séjour. Cependant, l’immigré économique a pris sa décision à la suite d’un vrai « projet », tandis que le réfugié a agi dans la précipitation, et il n’a souvent pas de connaissance de la langue française, ce qui complique beaucoup les choses. De plus, si le statut lui est accordé de façon définitive, il est totalement révocable.
Que devient un réfugié dans la durée ? Il lui arrive de retourner dans son pays d’origine, si la situation s’y stabilise. Ou bien il demande sa naturalisation, qu’il obtient généralement. Ou bien encore son statut est révoqué, ce qui est très rare. S’il rest e en France, il peut plus facilement qu’un immigrant ordinaire obtenir le regroupement familial, car, pour lui, il n’est pas conditionné par un niveau de revenus plancher, ou la disp osition d’un logement. Il reste le problème des consulats pour l’obtention des visas d’entrée de la famille. Comment les réfugiés politiques parviennent-ils en France ? Par le même canal que tous les autres, c’est -à-dire en utilisant les services des « passeurs ». Ils arrivent forcément de manière illégale… Leur nombre total est d’environ 130 000, et assez st able au fi l des années par le biais des retours au pays et des naturalisations. Il est sans doute utile de rappeler que la mission de l’OFPRA est d’assurer la « protection » administrative et juridique des réfugiés. Il est par exemple chargé de la reconstitution de leur état civil. Il fournit ainsi actes de naissance et de mariage. N’oublions pas que 200 ou 300 millions de personnes vivent dans le monde dans un pays où elles ne sont pas nées. 10% d’entre elles sont des réfugiés politiques.
Propos recueillis par Didier Vanhoutte
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