Evolution des politiques d’immigration en France et instrumentalisation des « étrangers »
D’une immigration encouragée à une immigration contrôlée
A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, avec la reconstruction de la France débute une période de forte croissance économique appelée les Trente Glorieuses. En 1945 l’Etat crée l’Office national d’immigration (ONI) chargé d’intégrer les immigrants notamment par le regroupement familial. La main-d’œuvre est requise pour le bâtiment, les mines et l’industrie lourde. Les grandes entreprises recrutent directement dans les pays d’émigration. Les migrants proviennent d’une part d’Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal, Yougoslavie), d’autre part d’Afrique du Nord. Dès le milieu des années 1950, l’Etat construit des foyers (SONACOTRA) pour les célibataires afin de lutter contre l’habitat insalubre et contrôler des personnes sensibles aux évènements d’Algérie. A partir de 1962, l’ancienne métropole accueille les harkis dans des camps de transit. La République française s’ouvre aussi aux demandeurs d’asile politique, venant essentiellement des pays à régime communiste. Elle accorde des bourses à des étudiants originaires des anciennes colonies afin de les former comme cadres administratifs et militaires des jeunes pays francophones.
Dès 1972, les circulaires Marcellin-Fontanet lient l’attribution d’une carte de séjour à la possession d’un permis de travail et limitent les régularisations. Ces mesures plongent beaucoup de travailleurs immigrés dans l’illégalité. Des grèves de la faim ont lieu avec le soutien de militants de gauche, syndicalistes et chrétiens. Le ministre du Travail régularise 35 000 travailleurs en situation irrégulière. A partir de 1974, on considère que la France est touchée par une crise économique. Cette année, V. Giscard d’Estaing, élu président de la République, stoppe l’immigration à l’exception du regroupement familial et propose une prime de retour au pays. En 1980, la loi Bonnet durcit les conditions d’entrée sur les territoires français et facilite l’expulsion des immigrés clandestins. Le Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés (GISTI) réussit à faire annuler la circulaire Fontanet par le Conseil d’Etat.
L’immigration devient un sujet politique majeur
Dès son élection, le Président F. Mitterrand procède à une régularisation massive d’étrangers en situation irrégulière (130 000 personnes). En 1984, un titre unique de séjour de dix ans est créé. Entre 1986 et 1997, au gré des alternances politiques dites de cohabitation, l’immigration est au cœur des compagnes électorales. Un parti d’extrême droite, le Front National, fait de la lutte contre l’immigration un slogan majeur de son discours politique. Une partie de plus en plus importante de l’électorat se laisse séduire par des propos ouvertement xénophobes. De même que certains dirigeants de la droite républicaine, dont un futur Président de la République allergique « au bruit et à l’odeur »…
En 1986 le Parlement, majoritairement de droite, adopte une loi restreignant l’accès à la carte de résident et facilitant encore les expulsions. Lors de la seconde cohabitation, en 1993, le ministre de l’Intérieur fait réformer le Code de la nationalité (le droit du sol ne donne plus automatiquement la nationalité aux étrangers nés en France). On ne parle plus de travailleurs immigrés, mais d’immigrés en y incluant les enfants des immigrants de la première génération. En 1996, des sans-papiers qui demandent leur régularisation sont expulsés par la police de l’église parisienne Saint-Bernard qu’ils occupaient. Devenu Premier ministre d’un gouvernement de gauche en 1997, L. Jospin régularise 80 000 sans-papiers tandis que la loi Guigou (1998) rétablit intégralement le droit du sol. Sous la présidence de J. Chirac, en 2003, vote d’une loi plus répressive encore qui criminalise les sans-papiers et suscite l’indignation de quelques-uns qui créent, l’année suivante, le Réseau éducation sans frontières (RESF) qui cherche à s’opposer à l’expulsion de parents de mineurs.
Pendant ce temps, l’immigration est traitée de plus en plus au niveau de l’Union Européenne qui, en 2003, tente d’harmoniser les politiques d’immigration des pays membres et fixe des normes pour l’accueil des demandeurs d’asile. Simultanément, c’est aux frontières de l’Europe que sont contrôlés les migrants. Les pays d’Afrique du Nord sont invités à refouler les clandestins subsahariens, notamment ceux qui essaient de pénétrer dans l’Union Européenne par les enclaves espagnoles au Maroc, Ceuta et Melilla. Ces mesures ne peuvent empêcher une immigration clandestine permanente contrôlée par des réseaux de passeurs. Non seulement d’Afrique mais aussi d’Asie. Des immigrants, y compris des femmes enceintes, sont recueillis sur l’île italienne de Lampedusa, d’autres meurent en mer avant d’avoir pu accoster en Europe.
En France le Président N. Sarkozy mène une politique plus restrictive de l’immigration (diminution des visas, immigration « choisie », refoulement des demandeurs d’asile politique, expulsions massives…). La CIMADE (Comité inter mouvements auprès des évacués. Service Œcuménique d’entraide) qui assiste les sans-papiers est indésirable dans les centres de rétention administrative. En 2007 apparaissent les Cercles de silence, comme autant de lieux dénonciation de cette politique. Dans son discours de Grenoble, en 2010, le Président Sarkozy rend responsable de la délinquance un nouveau type d’« étrangers » comprenant les enfants d’immigrés (auxquels, dans certains cas, il faut refuser la nationalité française ou la leur retirer quand ils l’ont déjà) et les Roms, pourtant citoyens européens, dont il faut démanteler les campements en France.
Une démarche citoyenne : lutter contre l’instrumentalisation des étrangers
L’étranger est rarement bien vu dans des sociétés où il bouscule un ordre jugé intangible car assurant la conservation sociale et la sécurité du groupe. En période de croissance économique, les besoins vitaux étant assurés, l’intégration s’accomplit lentement (sur trois générations) mais sûrement. Aujourd’hui nous sommes en « crise ». Crise économique : la mécanisation des moyens de production réduit la main-d’œuvre et augmente le chômage. Crise financière : les bénéfices sont placés en bourse plutôt qu’investis dans l’outil industriel. Crise sociale : la recherche délibérée du profit se fait au détriment de la place de l’homme dans l’économie. Une conséquence importante en démocratie : un fort mécontentement des électeurs.
Une solution : la remise en cause de l’ultralibéralisme. Une politique rarement envisagée par nos dirigeants politiques. En France, ces dernières années, des élus ont préféré faire appel à l’irrationnel en se servant des peurs des citoyens. De la peur de l’autre, de l’étranger ». Peur volontairement entretenue par une partie des médias. Désormais l’étranger est (seul) responsable des malheurs des Français. Chômage : les étrangers prennent le travail des Français. Déficit de la sécurité sociale : les étrangers sont plus souvent malades que les Français et ont plus d’enfants qu’eux. Insécurité : les étrangers agressent les vieilles dames.
Cette xénophobie est d’abord le fait du Front National. Une xénophobie électoralement gagnante pour l’extrême droite. Une tentation pour la droite républicaine de la partager et de contracter des alliances avec la droite extrême. Son discours vise essentiellement un électorat populaire auquel échappe la réelle complexité du système économique capitaliste, mais qui lui est numériquement indispensable pour être majoritaire dans le pays. Aux paroles s’ajoutent des actes fortement médiatisés : débat sur la nationalité, contrôle au faciès, expulsions par charters, fermeture du centre d’hébergement de Sangatte…
Simultanément s’opère un glissement sémantique : l’immigré remplace le travailleur (immigré), puis devient l’arabe, enfin le musulman. La fabrication d’un bouc émissaire unique procède de l’amalgame entre immigration, culture et religion. Elle s’accompagne d’une remise en cause de la laïcité tolérante et respectueuse de la diversité pour affirmer une identité française (uniquement) catholique.
Pour quel résultat ? Une implantation durable de l’extrême-droite dans plusieurs régions françaises. Une proportion élevée de Français favorables aux idées extrémistes. Un vivre ensemble plus difficile, notamment dans les quartiers populaires. Et en 2012 les droites battues aux élections présidentielle et législative. Un espoir pour les défenseurs des droits humains dans notre pays, pour tous ceux qui sont attachés à la démocratie, aux libertés, à l’égalité ?
A condition d’user de tous les droits que nous accorde la démocratie. Après le droit de vote, la liberté d’expression et le droit de manifester si nécessaire pour rappeler à des gouvernants (de gauche) que la lutte contre le chômage est la condition indispensable pour faire respecter les droits des immigrés. Que la Déclaration universelle des droits de l’homme, préambule de la constitution de la République, garantit la liberté de circulation pour tous. Que seul le développement des Suds permettra de retenir sur place aussi une main-d’œuvre peu qualifiée que les intellectuels.
Ce sont des actes citoyens. Que les chrétiens accompliront avec d’autant plus de conviction qu’ils sont héritiers non seulement de la tradition chrétienne d’hospitalité, mais aussi porteurs du message d’ouverture à l’autre, d’amour de l’autre, qui leur a été laissé par Jésus lui-même. Cela est possible aujourd’hui en France. Comme cela y a été possible hier. Nous, les Français d’aujourd’hui, ne sommes-nous pas tous des immigrés. Première, deuxième, troisième génération… comme nous aimons à le rappeler lors des manifestations ?
Jean-Paul Blatz.
Laisser un commentaire