Atelier 19 Lyon 2010

Animateurs : Marie-Thérèse van Lunen-Chenu et Gonzague Jobé-Duval

(Femmes & Hommes en Église)

Le genre est une catégorie d’analyse qui désigne à la fois une identité –un « sexe social » – et une relation – un « rapport social de sexe ». À un premier niveau, le genre grammatical opère une distinction entre « masculin/viril » et « homme », entre « féminin » et « femme ». On dit par exemple : « cet homme n’est pas viril », dans le sens qu’il fait défaut à son rôle attendu de protecteur. Si au lieu de se contenter de dire que cet homme n’est pas protecteur on dit qu’il n’est pas viril, c’est parce que le rôle protecteur d’un homme est perçu comme « naturel » : il correspondrait à ce que les hommes sont biologiquement. On identifie le genre au sexe jusqu’à faire mine de mettre en doute le sexe lui-même quand le genre parait inadéquat : « Tu n’es pas un homme ». Cette distinction entre homme et masculin, entre sexe et genre, est en fait une injonction : un homme doit être viril, une femme doit être féminine. Le genre est un ordre moral. Il n’est pas seulement une identité mais un rapport social qui apparaît en grande partie comme un rapport de pouvoir. On peut en juger dans l’Église par les discours et les lois du clergé masculin qui opère une surdétermination constante des différences biologiques, aujourd’hui d’un ministère fonctionnel. L’abandon ou la mise à l’écart de Vatican II a pesé lourdement.

Témoignages

– On s’intéressait aux gens plus qu’à la fonction.

– C’est Claudette, une femme athée, qui m’a ouvert au monde.

– L’Église m’a laissé tomber.

– Des communautés très « laïques » m’attiraient. Je les ai trouvées.

– J’ai rencontré Marcel Légaut. I l m’a permis de me découvrir moi-même et de trouver ma place.

– Pour moi, mon départ de l’institution été la chance de ma vie. Sans cela, je serais mort depuis longtemps.

– J’ai tiré un trait sur l’institution. Mais Jésus, c’est autre chose.

– Épouse de prêtre : le fait qu’il soit prêtre ne m’a pas posé de problème. Quel regard ? Si j’ai souffert, c’est qu’il souffrait. Joie, libération C’était plus aller de l’avant.

– Me marier m’a libéré et j’ai pu vivre bien plus que si j’étais resté comme avant.

– Je connais de nombreux jeunes prêtres partis quelques années après leur entrée.

– (une ex-religieuse) Née dans une famille ouvrière, je voulais une présence au milieu des êtres humains… On m’a dit « Partez dans le monde et revenez voir plus tard »… Travail au « Nid » à temps plein… Puis je me suis mariée…

Pendant 25 ans, j’ai fréquenté la fraternité Charles de Foucault, puis les amis de Riobé, Gaillot jusqu’au moment où je suis passée à autre chose : le mouvement de la Paix, et j’ai pris des engagements divers… Parvis, j’ai repris du sens critique.

– Ce que je garde, c’est l’Évangile.

– « Nous sommes passés par des souffrances et des interrogations, mais nous avons grandi en humanité », conclut Philippe Brand.

 

Je connais de nombreux jeunes prêtres partis quelques années après leur entrée.

Le temps est venu

De toutes les initiatives qui osent proclamer en parole et en acte que les femmes sont des êtres humains à part entière avec des richesses, des désirs. [de] Toutes les initiatives qui disent « cela suffit » la domination masculine dans l’Église et la société. De toutes les initiatives qui proposent l’Évangile avec les mots d’aujourd’hui pour le monde d’aujourd’hui.

 

La supériorité c’est Thomas d’Aquin reprenant l’affirmation de saint Augustin selon laquelle le Christ s’est fait mâle car « c’est l’humanité mâle qu’il convenait d’assumer comme le sexe le plus honorable », ou le pape Pie XI rangeant parmi les « vertus domestiques » « l’honnête subordination de la femme à son mari ». Si Jean-Paul II a mis un frein à ce délire, il continua à ne parler que de la complémentarité des femmes ; on attend toujours un Viris dignitatem qui enseigne aux hommes leur « vocation naturelle » d’époux, de vierge et de père. Personne ne les qualifie de « complémentaires » des femmes afin de les exclure de certaines responsabilités dans l’Église. Si les clercs ne parlent pas de leur nature masculine, c’est sans doute qu’ils l’identifient à la nature humaine. Les hommes (vir) s’identifient aux hommes (homo), à l’universel, au neutre, au prototype, tandis qu’ils assignent les femmes à la particularité, à la spécificité, à la différence.

Le genre est ici magnifiquement illustré comme rapport de pouvoir par le magistère qui nie la pertinence même du concept : des hommes auto-investis de l’autorité disent aux femmes qui elles sont et quels rapports elles doivent entretenir avec les hommes. Le genre est donc un rapport de pouvoir qui se construit lui-même dans le même temps qu’il construit ses deux termes. Ce que sont concrètement « les hommes » et « les femmes » et même la pertinence de la distinction entre ces deux groupes, cela est déterminé (aussi) par un rapport de pouvoir.

Dans la société plus largement, cette constitution de deux groupes se fait au moyen de la division sexuelle du travail et de l’appropriation du corps des femmes dans le couple hétérosexuel viriarcal. Ce dysfonctionnement du couple hétérosexuel, nous pouvons en prendre conscience par la manière dont est stigmatisé le couple homosexuel et par là nous pouvons éclairer en partie en quoi la question du genre est liée à celle de l’orientation sexuelle. Ce qui est reproché aux hommes homosexuels n’est pas leur attirance pour le « même » sexe mais leur caractère « efféminé ». Ils sont souvent méprisés comme faibles, passifs, manquant de virilité, à l’image de leur sexualité qui serait sur le mode passif du « se faire prendre », puisqu’ils n’ont pas de femmes à « prendre ». Dans le même esprit, les femmes homosexuelles sont stigmatisées comme « mal baisées », c’est-à-dire comme n’ayant pas encore rencontré d’homme qui les « possède », comme on disait hier.

Cela en dit long sur l’estime du partenaire féminin dans le rapport hétérosexuel : la réciprocité du désir et de l’activité ne lui est pas vraiment reconnue. Dans ce contexte, il est intéressant de penser le « genre masculin sacerdotal » : quelle identité de genre pour ces hommes qui accèdent à l’autorité ecclésiale en acceptant d’être « eunuques pour le royaume » ? Les prêtres ont une masculinité paradoxale qui puise faiblement dans les attributs sociaux classiques de cette dernière : ils soignent, guérissent, préparent les fêtes, donnent une « seconde naissance » par le baptême au nom de « notre mère l’Église », ne vont pas à la guerre, prêchent la douceur, etc. Le catholicisme est à ce titre une société patriarcale particulière dans la mesure où l’autorité échoit à un « père » qui n’est pas biologique mais spirituel. Le pouvoir des « ecclésiastiques » n’est pas fondé sur la génération, mais sur l’agrégation à une entité énoncée au féminin : l’Église. L’anticléricalisme du XIXème siècle n’a d’ailleurs pas manqué de stigmatiser le caractère « efféminé » du clergé en robe et dentelle. On peut analyser ce genre paradoxal comme étant en partie une appropriation du féminin par les hommes afin d’asseoir leur pouvoir. Des chrétiennes et des chrétiens oeuvrent pour que les normes de genre ne mutilent pas la personnalité individuelle et l’égalité entre les personnes humaines. C’est le cas de l’association Femmes & Hommes en Église qui organisait cet atelier. C’est aussi le cas d’une personne « transgenre » invitée à témoigner, qui, au bout d’un long et difficile chemin, a accueilli avec humilité et une joie croissante le genre qui s’imposait à elle et l’habit « féminin » qui lui permettait de le manifester. Des associations comme David et Jonathan, bien représentées à notre atelier, oeuvrent aussi pour que soit reconnue la beauté d’une sexualité respectueuse d’autrui, quelle que soit son orientation et pour que la condamnation récente de la violence homophobe et transphobe par les religions devienne une condamnation des racines de cette violence dans leur enseignement ordinaire. Ensemble, ces personnes contribuent à l’analyse du genre et à sa critique, à son réajustement voire à son abolition.