La Process Theology,
un essai pour dire Dieu aujourd’hui.
Les progrès scientifiques et les bouleversements de l’époque moderne nous obligent à remettre en question notre parole sur Dieu et ses rapports avec le monde et l’humanité. La quête du sens de notre vie passe par les chemins nouveaux que science et foi nous invitent à défricher au nom de la confiance que nous accordons à Dieu et à l’humanité.
La théologie du « process » est une tentative pour comprendre le rôle de Dieu dans une création que nous avons découverte en constance évolution. Ce courant de pensée d’abord philosophique est au début du XXième siècle aux Etats-Unis au sein du protestantisme libéral à partir des travaux de Withehead (1861-1945), mathématicien et philosophe, titulaire de la chaire de philosophie à Harvard. Son contemporain et élève, Harthone reprend les idées de Withehead sur un plan théologique. Si la « process theology » a fait l’objet de nombreuses publications outre-atlantique, en particulier avec les travaux de Cobb et de Wieman, elle a eu assez peu de prolongations dans la pensée théologique contemporaine en Europe, bien qu’un des écrits de Withehead, Process and reality, ait été traduit par Bergson. En France, elle reste mal connue malgré les travaux d’A. Gounelle, A. Parmentier et R. Picon. Cependant on peut relever bien des points de convergence avec la réflexion théologique et spirituelle du siècle écoulé, particulièrement sensible au devenir du monde et à l’apparent silence d’un Dieu que la théologie classique, héritée du thomisme, affirmait tout-puissant, autosuffisant, omniscient, immuable et impassible. Je ne citerai que deux théologiens contemporains – J. Moltmann, P. Tillich -, un auteur de spiritualité, F. Varillon, et un philosophe, H. Jonas.
Le mot « process » est difficile à traduire, englobant les nuances d’évolution, de procession, d’avenir, dans une vision dynamique et expansive de l’univers, telle que la découverte de l’atome et de l’évolution des espèces nous l’ont révélée. L’humain prend conscience de toutes les chaînes évolutives qui l’ont précédé et dont il est redevable. Nous sommes immergés dans un monde en constante transformation où tout se trouve en relation, témoin ou acteur d’évènements où le passé est sans cesse repris, d’où le présent émerge et s’oriente vers un futur de commencements en commencements. Ces nouveaux acquis scientifiques conduisent à reposer à frais nouveaux la question de la création, du but de cette évolution, de ses modalités de parcours comme de son principe. La pensée de Teilhard de Chardin est proche de celle de Withehead, de 20 ans son aîné, notamment sur l’interdépendance et la continuité des formes du vivant bien qu’il ne semble pas faire référence à la process theology, dans aucun de ses écrits, peut être même ne la connaissait-il pas. Il s’en différencie sur l’espérance d’un terme de l’évolution et de l’histoire marquée par une récapitulation de toutes choses en Christ selon les paroles de l’apôtre Paul (Ep 1, 10). Les progrès que nous faisons dans la connaissance des lois qui régissent le monde nous obligent à repenser notre foi et la manière de l’exprimer. Si Withehead et Harthorne, protestants, ont pu le faire sans interdits, il n’en est pas de même pour Teilhard de Chardin condamné par le magistère catholique.
Il est bien difficile de montrer en si peu de lignes toute la richesse de l’apport de la théologie du process. Ce petit article ne traite que de la question de Dieu et de son action dans le monde. Il n’abordera pas la christologie, les réflexions sur l’Eglise, l’humain et l’espérance chrétienne.
Au sein d’un monde où désormais toutes choses nous apparaissent en cours de changement et en interaction, Dieu participe lui-même à ce flux et de transformation et de relation. Il en est à la fois à l’origine et l’accompagne dans son évolution, auteur et acteur de ce processus, c’est ce que la théologie du process appelle la « nature primordiale » de Dieu et, ce qui est plus révolutionnaire, Il est objet lui-même de ce processus, c’est « sa nature conséquente ».
Nature primordiale, Dieu est le dynamisme à l’origine de toutes choses, puissance qui fait advenir, source de vie de ce soit à l’origine, ou au cours de l’évolution, force initiale à partir de laquelle advient le réel. Il est celui dont la Parole organise le « chaos ». Potentialité du possible, Il est la source de tous les possibles, non pas l’être le plus puissant mais puissance qui fait être. Ce principe créateur est aussi principe de limitation, restreignant le champ des possibles, condition indispensable à une certaine harmonie. Dieu offre une multiplicité de possibles ouvrant le futur. L’univers et l’humanité par un choix plus ou moins conscient permettent l’actualisation de ces possibles. Ainsi le présent émerge d’un passé repris dans le dynamisme créateur de Dieu et s’oriente vers un futur construit des avancées et des échecs. L’évolution de l’univers n’est pas linéaire et uniquement faite de progrès. L’évolution a conduit souvent à des erreurs et des impasses. Mais à ces impasses et ces ratés dans l’évolution, le dynamisme créateur de Dieu ouvre, comme à tout ce qui se laisse habiter par sa force de vie, de nouveaux possibles. Pour la théologie du process, seule l’existence de Dieu explique la cohérence de l’évolution, l’activité créatrice apportant à chaque instant du temps, comme à l’origine, la nouveauté, la finalité, l’harmonie, la tension vers le futur. On peut dire qu’ainsi Dieu est puissance d’attraction vers le meilleur, vers une actualisation toujours plus satisfaisante et heureuse de l’amour dans l’univers.
Ce qui est plus novateur dans la théologie du process est la notion de « nature conséquente » de Dieu. Parce qu’il s’implique en permanence dans le cours du monde sans y être bien sûr dilué, car pour le « process » il n’est pas question de panthéisme, Dieu est lui-même transformé par ce qui arrive dans sa création. Dieu a besoin de nous pour, à chaque stade de l’évolution, faire advenir la vie du chaos. Il est tributaire de nos décisions. L’amour de Dieu est sans limite, mais sa puissance est limitée par l’orientation prise chaque constituant du monde. Dieu dépend de la réponse du réel, son projet est en partie déterminé par nos choix. Dieu est obligé de composer avec nos forces de résistances. Il souffre de nos résistances. Ce Dieu qui entre en relation ne peut être que transformé par cette relation. Il a souffert dans la passion de Jésus-Christ, mais sa mort n’a pas été le dernier mot, car Jésus-Christ a parfaitement laissé agir en lui le dynamisme créateur de Dieu. Dieu a fait alliance avec le monde, il ne peut rester figé dans son « éternité ». Tout en restant identique à lui-même, en s’engageant dans le monde, y manifestant sa tendresse, il en est affecté et est en devenir. L’avenir reste à créer, l’avenir du monde comme en quelque sorte l’avenir de Dieu !
Chaque époque a balbutié une parole sur Dieu, à hauteur de ses connaissances humaines, essayant d’étayer son discours sur les écrits bibliques, parfois avec une interprétation un peu forcée. Nous ne pouvons plus croire à un Dieu situé dans un au-delà énigmatique, dont la toute-puissance absolue devient une monstrueuse indifférence et dont l’omniscience ne tiendrait pas compte de la liberté et de la responsabilité du monde. Son implication à chaque moment du temps n’est pas panthéisme mais force créative. Sa dépendance aux décisions du monde n’est pas limitation, mais respect de l’altérité voulue. Sur bien des points la théologie du process est bien plus en accord avec des données de l’Ecriture, quelques exemples : c’est au chaos primitif que Dieu par Sa Parole a donné forme, l’avenir dépend de nos choix : « choisis la vie ! » (Dt 10, 15), sans cesse Dieu « appelle à l’existence ce qui n’est pas » (Rm 4, 17), et cette parole de Jésus : « Mon Père, jusqu’à présent, est à l’oeuvre, et moi aussi je suis à l’oeuvre » (Jn 5, 17).
La théologie du process est un essai pour comprendre et dire Dieu dans un souci de dialogue avec la culture moderne. Elle a le grand mérite d’être une théologie de la liberté au souffle d’un Dieu « faisant chaque jour toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5). Elle est Parole sur Dieu, un Dieu dont la toute-puissance réside dans le don de vie qui invite l’autre à se dépasser soi-même et à s’aventurer toujours plus loin, à se libérer de toute soumission, soumission que les théologies classiques ont trop souvent cautionnée. Ainsi, la théologie du process est aussi parole sur l’humain qu’elle appelle à être libre, intelligent, créatif et responsable.
Claude Dubois.
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