Vient de paraître
Les Réseaux des Parvis
La revue de la Fédération des Réseaux du Parvis
Numéro 64 – Septembre- Octobre 2014
Dossier :
La non-violence, espoir de paix pour le monde ?
Editorial
La nature a ses lois. Elles permettent aux espèces vivantes de se perpétrer et de s’adapter aux conditions de vie. Aux naissances succèdent les morts. Et les morts deviennent sources de survie pour les vivants. Apparaît une espèce douée d’une intelligence supérieure et de parole qui a la capacité non seulement de dominer la nature et les autres espèces, mais aussi de soumettre son semblable à son pouvoir, même contre sa volonté, en usant d’intimidation et de force.
L’histoire des hommes est une suite d’actes violents. Ces comportements de domination ou d’asservissement usent de la force physique autant que verbale ou psychologique, surtout contre ceux qui sont considérés comme faibles. Lorsque le pouvoir est exercé par un régime autoritaire, l’utilisation de la violence peut devenir terrorisme d’Etat, stigmatisation d’une population et génocide. Les démocraties ne sont pas exemptes de violences quand les injustices économiques et sociales frappent les plus fragiles. La cyber-violence devient un réel danger lorsqu’elle prêche la haine et la discrimination et amplifie les peurs humaines.
Si l’homme est capable d’actes violents, il a aussi la capacité de se maîtriser ou de sublimer son agressivité. L’intérêt qu’il porte à la violence, à ses causes et à ses conséquences devient objet d’une pensée philosophique et source de courants spirituels et religieux. Dans l’hindouisme ou le bouddhisme. Dans le monothéisme proche-oriental aussi qui passe d’une divinité vengeresse au Dieu de Jésus-Christ juste, fraternel et aimant. Le passage de la théorie philosophique ou théologique à la praxis quotidienne est un perpétuel recommencement avec chaque génération. Dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, en Europe et dans les colonies, on commençait à penser que le monde ne pouvait changer que par la non-violence. Une philosophie qui délégitimise la violence, qui promeut une attitude de respect de l’autre dans le conflit et une stratégie d’action politique pour combattre les injustices.
Pour quelle efficience ? Pour nombre de nos contemporains, la non-violence évoque des personnes : Gandhi, Martin Luther King ou Nelson Mandela. Des actions réussies également, en Inde, aux-Etats-Unis, en Afrique du Sud… Pendant ce temps les guerres continuaient dans le monde, entre pays et entre habitants d’un même pays jetant sur les routes d’innombrables réfugiés. Des dictateurs continuaient à torture et à tuer. La pauvreté s’étendait au rythme des nouveaux bidonvilles.
La non violence est-elle un chemin vers la paix ? A condition qu’elle s’inscrire dans la durée. Qu’elle s’incarne dans une éducation à la solidarité et à la fraternité, dans la lutte contre les inégalités de l’ultralibéralisme, dans le combat contre les nationalismes et les racismes, dans l’écoute de l’autre. A condition que j’accepte d’être remis en question par l’autre. Que j’accepte de recevoir quelque chose de lui. La vocation de la non-violence ne serait-elle pas seulement de changer les relations humaines mais aussi de libérer l’homme des entraves qui l’empêchent de découvrir sa nature profonde et, pour certains, l’occasion de découvrir aussi une image divine en devenir ?
Jean-Paul Blatz
Sommaire du dossier
L’entrée en non-violence inaugure l’humanité. – Bernard Quelquejeu
Chacun d’entre nous fait l’expérience de la violence, de la violence subie ou de sa propre violence. Une violence que nous cherchons à récuser et à délégitimer par des actes et des attitudes morales. Ce comportement qui considère que la violence est première et la non-violence réactive, ne conforte-t-il pas le pessimisme et n’empêche-t-il pas l’espérance ? Pour Bernard Quelquejeu ce mouvement d’indignation révèle l’avènement d’une conscience qui dépasse l’individu et lui fait comprendre que tous les hommes ont en commun l’aspiration à la fraternité et le respect de leur dignité. La non-violence est alors conscience d’être un homme, d’être homme. Elle tire l’individu hors de la solitude et le fait accéder à cette terre commune où l’existence devient humaine.
Pourquoi la non-violence est-elle la seule voie possible. Comment s’y engager. – Entretien avec Jean-Marie Muller
La non-violence est le seul espoir de paix pour le monde. Non seulement la violence fait preuve de son inefficacité, mais elle est aussi perversion de la relation avec l’autre. Comment réagir ? Jean-Marie Muller nous invite à faire de la médiation la méthode privilégiée dans la résolution des conflits et à créer des espaces de dialogue afin que les parties en conflit trouvent elles-mêmes des solutions. Des moyens à la disposition de chaque personne, dans toutes les circonstances
Chemins de paix en Palestine et en Israël.- Lucette Bottinelli
Une nouvelle fois l’actualité nous rappelle l’impasse militaire et le blocage diplomatique au Proche-Orient et nous convainc que seule la justice peut établir durablement la paix. Par un travail de longue haleine, un combat non-violent mené déjà de longue date, des associations cherchent à sensibiliser les populations, particulièrement les éducateurs et les militaires, sur les violences contre les civils et le sort réservé aux Palestiniens.
La justice réparatrice, une pratique alternative pour une société moins violente ? – Anthony Favier
Comment faire face à la demande de nos contemporains de mieux écouter les victimes sans que cela attise le sentiment de vengeance qui nourrit immanquablement la violence ? Une possibilité : faire prendre conscience à un délinquant des répercussions de ses actes afin qu’il s’engage à les réparer dans la mesure du possible.
La communication non-violente. – Jean-Bernard Jolly
Si la communication est confrontation de jugements, la spirale de la violence est inévitable. Dans une démarche psychosociologique, l’auteur nous invite à réfléchir sur ce qui peut être fait pour améliorer le bien-être des personnes, condition nécessaire à une harmonie dans le rapport à soi et aux autres. La diffusion de cette pratique peut aboutir à une transformation des rapport sociaux.
L’éducation à la non-violence dans les écoles.- Georges Heichelbech
Dans la tradition républicaine française, le rôle de l’école est non seulement d’instruire mais aussi d’éduquer. En l’occurrence de développer différents types d’aptitudes, aussi bien l’estime de soi et le respect de l’autre que la solidarité et l’acceptation de la différence. Autant de qualités indispensables à instaurer une culture de paix et de tolérance.
De la violence originelle au pouvoir de pardonner-. Jean-Bernard Jolly
Que dit la Bible de la non-violence ? L’auteur nous introduit dans la réflexion de théologiens qui nous rappellent que la tradition des prophètes et de Jésus prend parti pour les victimes de l’injustice de la violence. Et que face au mal, l’inattendu, c’est le pouvoir de pardonner, et ce pouvoir réside en l’homme.
Et l’islam ? – Michel Roussel
L’islam est-il violent ? Caricatures et stéréotypes vont bon train. Les Occidentaux stigmatisent pêle-mêle les Frères musulmans, les djihadistes, les islamistes et les fondamentalistes. Cet article nous éclaire utilement sur le sens de mots issus du Coran et et qui sont couramment utilisés par les médias.
La non-violence a ses limites. – Georges Heichelbech
La non-violence absolue est une utopie. Elle n’existe en aucun lieu. La violence existe partout. Mais jamais elle n’atteint la fin qui prétend la justifier. L’efficacité de l’action non-violente est toujours conditionnelle et limitée. Mais le caractère relatif de son efficacité ne permet pas de relativiser l’exigence spirituelle de non-violence qui fonde et structure l’humanité de l’homme.
Jean-Paul Blatz
Face à la situation au Proche-Orient, d’aucuns parlent de légitime défense pour contrer les agresseurs tout en précisant que cela ne devait pas consister nécessairement en bombardements. Mais comment les arrêter sans une intervention militaire ? Le dossier du numéro 64 de la revue des Réseaux des Parvis tente de répondre à cette question en nous invitant à réfléchir sur le thème : La non-violence, espoir de paix pour le monde ?
Pour nous introduire au dossier, Nicole Palfroy et Françoise Gaudeul, nous proposent une approche de la violence et une carte des lieux de violences.
Nous vous invitons à lire la suite du dossier dans le numéro 64 de la revue,septembre-octobre 2014 «
La violence aujourd’hui
Nous avons le sentiment d’assister à un déchainement inédit de comportements violents dans le monde, que l’on entend quotidiennement évoquer dans les media. Si l’on considère le siècle écoulé, on voit bien que jamais il n’y eut autant de victimes de la violence même si de tout temps sévirent des guerres, des massacres et des oppressions de toute sorte. Ce qui est nouveau et plus inquiétant, c’est que les acteurs de la violence disposent de moyens de plus en plus efficaces et destructeurs. Du temps de l’arme blanche, on tuait une personne à la fois ; aujourd’hui et sans parler de l’arme atomique, on en détruit des centaines, voire des milliers à la fois, sur le coup ou à petit feu quand l’ennemi se sert d’armes chimiques ou biologiques.
De même, de tous temps, la torture a existé et, malgré l’adoption de la Charte des Droits de l’Homme par la quasi-totalité des pays, aucun n’y renonce pas plus qu’à tout moyen qui lui semble efficace.
Les différentes formes de violence et leurs causes
Par définition, la violence est le caractère de ce qui se manifeste, se produit et produit ses effets avec une force intense et brutale. En bas latin, « violentia » signifie abus de la force. En clair, elle s’exercerait du fort vers le faible. Il est bien évident que le fort, aujourd’hui, c’est celui qui détient les moyens technologiques pour prétendre à la victoire.
La violence ne se manifeste pas seulement sous forme d’agressions ; elle peut aussi être verbale telles injures (raciales, homophobes, xénophobes…), diffamations, harcèlement…ou gestuelle.
Elle peut être individuelle ou collective, et dans les deux cas, impulsive ou instrumentale. Elle est impulsive lorsqu’elle n’est pas préméditée, mais surgit dans des circonstances particulières ( comme les manifestations de rue qui dégénèrent en émeutes) ou dans la légitime défense. Elle est instrumentale quand elle a pour dessein délibéré de parvenir à des buts déterminés, donc intéressés (tels les attentats ou assassinats).
La violence collective instrumentale est la plus meurtrière : elle est organisée par une ( ou des) nation(s) contre une autre , dans le but de se défendre contre un péril, , ou d’obtenir des avantages (comme la mainmise sur des richesses revendiquées), ou encore de renverser un régime politique….. Elle engendre l’escalade, chaque protagoniste usant des moyens les plus terrorisants ou les plus meurtriers pour parvenir à ses fins. Et pour se procurer l’argent nécessaire à l’achat d’armes, les prises d’otages sont fréquentes.
Ces violences, même si elles sont préparées, surgissent dans des situations bien précises, situations d’injustice et d’oppression subies par une population miséreuse, sous le joug d’un tyran, d’un groupe ethnique ou religieux, qui s’est accaparé le pouvoir et les richesses du pays. Ces situations engendrent et nourrissent la haine et les rancœurs et en font un creuset d’une violence contenue qui devient un jour explosive. Le colonialisme a été un facteur de violences et le reste par ses conséquences à long terme.. Il est à remarquer que l’instruction qui se répand, a fait éclore la conscience de l’égalité et la valeur de chacun, donc de la nécessité de défendre ses droits.
Elle vient souvent aussi de la mondialisation qui émancipe les personnes aux dépens des coutumes ou règles ancestrales de morale. Le respect des Droits de l’Homme rend inadmissibles certaines lois ou pratiques qui spolient la liberté d’individus, mais les bénéficiaires de ces us et coutumes, la combattent au nom de la religion.
La violence collective peut être impulsive, comme celle qui sévit dans les stades où les tenants des équipes adverses ont été fanatisés essentiellement par les media.
La violence individuelle, autre que l’assassinat, est le plus souvent comportementale et envahit la société dans tous ses domaines, y compris des lieux jusqu’ici « tabous » tels l’école et les hôpitaux. Il s’agit alors d’ignorance, de refus d’admettre des réalités douloureuses et de mauvaise interprétation de l’expression « droits de l’homme ».
On la trouve toujours et encore dans les familles à l’encontre d’un enfant ou du conjoint, sur les routes, sans parler des agressions sexuelles.
Les causes de l’expansion de ces violences sont multiples, mais drogue et alcool, souvent n’y sont pas étrangers Les comportements violents ne sont pas habituels : ce n’est qu’une petite minorité d’individus qui se laissent aller à la violence ; aussi les psy y cherchent-ils toujours une explication dans le passé du délinquant.
Tout aussi dévastatrice et plus perfide, la violence faite à un individu pour lui faire exécuter des actes qu’il réprouve, notamment au travail ou dans les conflits armés ou pour l’humilier et le réduire à néant si l’on veut le congédier sans frais de licenciement.
En bref, la violence est l’expression d’un mal-être de l’homme à l’échelon individuel, ou de la société quand elle est collective. Les images de violence, diffusées sans cesse à la TV ou dans les films, influent sur le jugement et le comportement d’individus fragiles, des enfants notamment, en donnant l’impression que le moyen le plus efficace d’obtenir ce que l’on réclame à tort ou à raison, doit passer par la violence.
Nicole Palfroy
Violences, violences et… toujours violences !
Ce texte est inspiré de la causerie réalisée par Marlène Tuininga lors d’une rencontre de « Réseaux Espérance » et de l’association « 4acg »(Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre) qui a eu lieu au centre quaker international le 14 juin 2014 et qui nous a permis de réfléchir et échanger sur nos différentes formes de résistance aux structures de violence qui nous dominent.
Marlène Tuininga est journaliste et ex-présidente d’une ONG, la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté – section française (LIFPL). Elle se dit béotienne et cherche à y voir clair.
La violence, on en parle beaucoup et on en parle très mal. Il y a confusion entre violence ou agressivité, colère, force et conflit : la pire des violences est de nier un conflit. Le conflit ne se résout pas, on apprend à vivre avec. La vraie définition de la violence est l’utilisation de forces physiques ou psychologiques pour contraindre, dominer, donner la mort… elle est une atteinte à la dignité humaine. Elle peut prendre différentes formes : violence physique, verbale, scolaire, sexuelle, téléphonique, internet, éducative ordinaire (c’est moi qui décide), guerre, génocide, peine de mort, violence conjugale et sexuelle, corruption, politique, etc. Elle est domination sociale qui conduit à la soumission donc à un sentiment d’infériorité ou d’insignifiance chez les dominés. Lorsqu‘il y a acceptation, la violence est banalisée. La première des violences c’est l’injustice !
On peut aussi parler de violence économique et de violence naturelle… La violence la plus grave est le conformisme ou la violence des justes. Est-il possible de s’affranchir du conformisme par comparaison, par imitation ? Un esprit qui compare ou qui juge sans cesse, est agressif.
La violence a changé de visage, les gens étaient pauvres ils sont devenus misérables à cause de la mondialisation : faim, déplacements, immigration… et en même temps elle est banalisée et nous savons pourtant que la guerre est inefficace !
Les violences structurelles sont celles provoquées par les structures, institutions et lois d’une société donnée qui empêche les individus de se réaliser. Ainsi le nationalisme, l’ethnocentrisme, le racisme, le sexisme, l’hétérosexisme, …. Nous, nous sommes des gens « bien », les autres pouah ! Le nucléaire, nous oui, les autres pas question !
Il s’ensuit la haine et la peur de l’autre qui débouche sur la politique de sécuritarisme, sur la militarisation…
Tout se joue sur la domination du centre c’est-à-dire « l’Occident », sur la périphérie, c’est-à-dire le « Sud ». Sur le plan mondial :
– C’est la production de biens sur les terres du Sud pour l’Occident (ex soja du Brésil, roses du Kenya)
– L’exploitation des richesses et ressources naturelles… même de la terre !
– Des normes et valeurs imposées par l’Occident sur le Sud, (droits de l’hommisme que nous voulons imposer à l’Afrique)
– Le néolibéralisme avec la religion de la croissance et l’idée qu’il n’y a pas d’alternative
– Des systèmes politiques demandés par le centre (good governance !) et qui doivent s’adapter aux structures sociales du Sud.
Il faut pouvoir dénoncer tous ces mensonges comme s’il n’y avait pas d’autre politique possible ! Dans son ouvrage « Femmes contre les guerres » la journaliste, correspondante de paix, rencontre des femmes d’Inde, Irlande du Nord, Argentine, Cambodge, Burundi, Colombie, Palestine, Israël qui ont décidé de se battre contre les causes et les conséquences des violences et conflits. Elle a visité les associations qu’elles ont fondées ou dont elles sont membres, et leur a donné la parole pour qu’elles racontent leurs expériences personnelles. Elle s’est ensuite attachée à comprendre comment elles sont sorties de leurs souffrances, en s’engageant en première ligne pour la fin des violences et la construction de la paix. Là où l’on méprise la femme, il ne peut y avoir une société harmonieuse.
Dire que l’esclavage, le colonialisme ne nous intéressent pas est réellement fou ! Les conséquences de ce déni sont terribles et ne peuvent apporter la paix…
Toutefois, nous vivons en ce moment, une période formidable car nous commençons à comprendre que la « non violence » crée un pouvoir. Elle est active dans les cas de « désobéissance civile »(ANV), « Confédération paysanne », « Lutte pour la terre »(Terres de liens), lutte contre les spéculations, les paradis fiscaux (CCFD terre solidaire)…
M. Tuininga a terminé l’échange par ces mots très forts « Ma plus grande souffrance c’est d’être blanche et nantie ! »
Françoise Gaudeul
Bibliographie : Femmes contre les guerres, Editions Charles Leopold Mayer, 2003, 192p, ISBN : 2-220-5325-3
http://www.eclm.fr/ouvrage-84.html
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