Les droits des Roms sont aussi les nôtres
e respecter le principe de libre circulation des ressortissants européens et de mettre fin à sa rhétorique de stigmatisation. En France, Églises, organismes chrétiens et organisations des Droits de l’Homme marquent leur refus de la figure de l’étranger comme bouc émissaire. Un appel co-signé par le CCFD -Terre Solidaire prend acte du fait que « les thèses de l’extrême-droite sur le lien entre immigration et délinquance ont ainsi trouvé une légitimation au plus haut sommet de l’État » et récuse « la vision d’une société repliée sur elle-même et inscrivant dans ses lois l’inégalité entre les hommes selon leur origine ou leur statut administratif. » Début septembre, 77 000 à 100 000 personnes descendent dans les rues pour manifester contre le racisme d’État. L’accusation est lourde. « Je ne contesterai pas l’expression, c’est bien le chef de l’État qui a stigmatisé la population rom. Il a donc choisi, en cette qualité, de fonder son action sécuritaire sur cette forme d’ostracisme », estime Patrick Henriot, vice-président du Syndicat de la magistrature.« Ce-pendant, il faut être extrêmement attentif au choix des mots car, d’une part, la parole du chef de l’État ne résume pas à elle seule la politique de l’État. D’autre part et surtout, parce que l’État s’entend d’un ensemble d’institutions dont on ne peut pas dire qu’elles fonctionnent, en France, sur un modèle raciste (comme l’apartheid par exemple). Pour autant, les appréciations portées sur cette question peuvent varier considérablement suivant que l’on est Français nanti ou Rom dans la misère. »
L’article reproduit ici a été publié dans le n°251 de la revue Faim et Développement Magazine du CCFD-Terre Solidaire.
Été 2010. L’espace médiatique est saturé d’images et de discours sur les Roms migrants. Les autorités françaises s’enorgueillissent de mener une vaste opération de démantèlement des bidonvilles et organisent la reconduite à la frontière de près d’un millier de leurs occupants.
Pourtant, pour les associations de soutien à ces populations, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. « Chaque été est l’occasion d’opérations de grande envergure à l’encontre des Roms migrants », souligne Marilisa Fantaci, coordinatrice du Collectif national Droits de l’Homme Romeurope. « Les autorités profitent de l’absence d’une partie de ceux qui pourraient protester : bénévoles, enseignants… La différence, c’est que jusqu’à présent ce n’était pas médiatisé. » Stigmatisation, amalgames, ethnicisation des débats : l’instrumentalisation de la présence d’environ 15 000 citoyens européens roms sur le territoire français atteint son point d’orgue avec le discours de Nicolas Sarkozy, le 30 juillet dernier à Grenoble. Le refoulement des Roms migrants, l’éradication de leurs campements sauvages sont au programme de « la guerre » que le président a « décidé d’engager contre les trafiquants, contre les voyous », tout comme la déchéance de la nationalité française, la révision des prestations sociales destinées aux personnes sans papiers et la suppression des allocations familiales aux parents défaillants.
Une instrumentalisation dénoncée au-delà des frontières
La violence des propos comme des actes – les évacuations de terrain sont exhibées sur les écrans de télévision – a ému au-delà de nos frontières. Mises en garde, condamnations, témoignages de solidarité envers les Roms : des prises de position notamment du Vatican, du Conseil pontifical pour les migrants et les gens du voyage, de l’ONU à travers son Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (Cedr), du Conseil de l’Europe et du Parlement Européen enjoignent au gouvernement français d
Être Rom dans la misère en France signifie avant tout être à la merci de procédures iniques. À tel point que Viviane Reding, commissaire européenne chargée des Droits des citoyens, s’est décidée à lancer deux procédures d’infractions contre la France : la première, en raison du non-respect des garanties légales prévues par la directive sur la libre circulation des ressortissants européens, en cas d’expulsion. La seconde liée au caractère « discriminatoire » des mesures décidées par les autorités françaises. Les associations de soutien, qui, depuis 2007 (date d’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’Union Européenne), ne cessent de dénoncer les violations du droit communautaire par la France – en 2008, huit d’entre elles dont le Gisti et le CCFD -Terre Solidaire avaient déposé une plainte auprès de la Commission -, ne peuvent que s’en féliciter.
Il faut dénoncer aussi la gestion des flux migratoires « souterraine », via la pression sur les pays d’origine. Ainsi, des migrants expulsés pour « ressources insuffisantes » ou rapatriés en Roumanie dans le cadre de l’aide au retour humanitaire se sont vu confisquer leur passeport par les autorités roumaines au mépris de la loi communautaire qui s’oppose à l’interdiction de territoire administrative pour les ressortissants de l’Union Européenne. « C’est la logique moderne d’externalisation du contrôle social sur les migrants pauvres », explique le juriste Grégoire Cousin. La France n’est pas la seule à conclure ce type d’accord informel, ni à avoir programmé des expulsions massives ou encore l’évacuation des camps sauvages. L’ltalie, le Danemark, la Suède y ont recouru récemment. L’Allemagne a expulsé vers le Kosovo des Roms à qui l’asile politique avait été refusé. Dans ce contexte, qui menace qui ?
EU-Midis, une étude de l’Union Européenne sur les minorités et la discrimination réalisée par l’Agence européenne des droits fondamentaux en 2009, confirme que les 10 à 12 millions de Roms d’Europe constituent la minorité la plus exposée aux violences et discriminations. Au cours des douze mois précédant l’enquête, un Rom interrogé sur cinq a subi au moins une fois un crime à caractère racial – agressions, menaces ou harcèlement grave – et un sur deux au moins une fois une discrimination. La montée des extrêmes- droites et les dynamiques sécuritaires qu’elles génèrent n’augurent pas de jours meilleurs. Des pogroms et des cas de stérilisations forcées continuent même d’être signalés (Robert Kushen, directeur exécutif du Centre européen pour les droits des Roms (ERC ) dans Libération le 19 août). En Hongrie, le Jobbik, parti d’extrême-droite aujourd’hui au Parlement, préconise de créer des sections de gendarmerie dédiées aux « problèmes roms » et de limiter la fécondité rom en supprimant les allocations familiales à partir du troisième enfant !
Combattre les discriminations par le développement humain
L’Europe s’est dotée d’un arsenal juridique en termes de reconnaissance des minorités et de lutte contre les discriminations, et la plupart des pays avec des populations roms importantes ont établi des bases légales garantissant leurs droits. Reste à les faire exercer. Selon le rapport EU-Midis, l’immense majorité des Roms ne signalent pas à la police les crimes dont ils sont victimes (entre 65 % et 100 % des Roms selon les pays). La principale raison invoquée est que « ça ne changerait rien », plus de la moitié ignorent comment s’y prendre et plus d’un tiers craignent les représailles.
« L’approche civique s’avère nécessaire, soutient Nicolae Gheorghe, sociologue roumain rom, fondateur de Romani Criss, une association partenaire du CCFD -Terre Solidaire. Nous n’avons pas hésité à porter de nombreux litiges devant les tribunaux ou les instances internationales, certains jusqu’à Strasbourg, pour obtenir le dédommagement d’une personne rom dont la maison a été détruite ou qui a été battue par la police. C’est un symbole fort. Mais cette approche de confrontation doit être menée de pair avec le développement économique et social local. La priorité étant l’accès au marché du travail dont tant de Roms sont exclus. Malheureusement, cette position est perçue comme “assimilatrice” au sein d’une partie des élites roms elles-mêmes qui misent surtout sur la promotion de l’identité culturelle. » Combattre les discriminations raciales par le développement humain ; inclure les questions liées à l’intégration des Roms dans les politiques plus générales consacrées à l’éducation, l’emploi, la santé publique, la planification urbaine…, plutôt que de les traiter dans le cadre d’une politique distincte, fait cependant consensus au niveau européen. Les Fonds structurels de l’UE , le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et l’Instrument d’aide de préadhésion (Iap), qui représentent près de la moitié du budget annuel de l’Union Européenne, doivent permettre de s’attaquer aux chantiers. Oui, mais… « L’Union Européenne traverse une phase creuse et peine à porter les dossiers dans un esprit communautaire, analyse Julie Siro, chargée de mission Europe au CCFD – Terre Solidaire. Elle s’oriente plutôt vers de l’intergouvernemental. » Or, les pays membres, à l’exception de l’Espagne, n’ont jusqu’alors manifesté aucune volonté politique et renvoient la balle aux organisations internationales et européennes. Peut-on espérer que la tempête médiatique de cet été se retourne contre les semeurs de troubles et change la donne ? La France, disait crûment le porte-parole de l’UM P, Frédéric Lefebvre, n’a pas vocation à accueillir tout le quart-monde de l’Europe. Les Européens, devrait-on lui rétorquer, n’ont pas vocation à faire prospérer une poignée de nantis au détriment des droits économiques, sociaux et culturels du plus grand nombre, Roms ou non- Roms. Rappelons-le à nos élus !
Bénédicte Fiquet
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