Les théologies féministes
Comme la théologie de la libération, les théologies féministes sont plurielles en raison même de leur nature de théologies contextuelles s’enracinant dans le vécu des femmes qui subissent encore des situations d’oppression, de marginalisation, de rejet, de pauvreté. Les femmes sont les premières victimes des privations de moyens d’existence, de soins de santé, d’accès à l’éducation, elles sont davantage exploitées dans le travail et marginalisées. Elles sont soumises à une domination masculine au sein de la famille, de la société et de l’Église ; leur pouvoir et leur capacité d’agir restent fragiles encore aujourd’hui dans bien des pays, et même là où la parité femmes-hommes a fait quelques progrès.
Dès la préparation du Concile Vatican II, dans les années 1960, partant de ce constat, particulièrement dans les pays du tiers monde et aussi bien dans la société civile que religieuse, des voix féminines se sont fait entendre, en particulier en Allemagne : « Nous ne nous tairons plus ! » En 1974, Letty Russel, une pasteure nord-américaine, publie : Pour une théologie féministe de la libération. Il n’est pas possible de citer ici les nombreuses auteures pionnières. Quelques noms, cependant, représentatifs d’Europe d’Amérique du Nord et du Sud : Mary Dale, Elisabeth Schüssler- Fiorenza, Donna Singles, Ivone Gebara, Elisabeth Parmentier.
Les femmes voulant faire s’exprimer les théologies féministes ont dû elles-mêmes se libérer de cette « humilité » supposée leur convenir et oser la confrontation directe avec des hommes peu habitués à cette prise de parole dans l’Église, où de nature et par volonté divine, la femme n’est qu’une aide soumise à l’homme !
Théologies de libération et théologies féministes sont une manière nouvelle de faire de la théologie, non en partant des dogmes basés sur la Tradition de l’Église et se référant aux textes bibliques mais à partir du vécu des êtres humains dont la vie est bafouée. Dieu y est présent et s’y révèle. L’être humain devient le sujet de sa propre libération, conscient que Dieu est à l’oeuvre dans sa vie, aussi bien, si ce n’est mieux, que « dans les lieux aseptisés des professionnels de la religion ». Ce n’est plus aux gardiens du Temple qu’on se réfère, Dieu est libéré de la religion, et si la vie quotidienne est jugée à partir des textes bibliques, c’est dans une lecture plus critique de l’Écriture, remettant en cause l’interprétation ecclésiale autorisée, masculine qui ne va pas toujours dans le sens de la libération et de la vie.
Les théologies féministes vont plus loin en rejetant une vision du monde hiérarchisée, phallocentrique, dans lequel le pouvoir de l’homme est légitimé par un Dieu masculin et une Église patriarcale où toutes les décisions, les rites et pratiques sont fixés par des hommes sans prise réelle sur la vie concrète des femmes, leurs difficultés et leurs souffrances. Dieu est aussi Dieue. Toutes les femmes dont la Bible a gardé mémoire sont autant de phares pour la vie de foi. Les théologies féministes ont repris avec bonheur les méthodes d’analyses sur le genre pour mieux mettre en lumière son impact sur la construction des rapports et des inégalités sociales. Les théologies de la libération et théologies féministes ont également en commun ce renouveau d’attention pour le soin qu’il est urgent d’apporter à la terre. Peut être est-ce la part féminine des théologies de la libération, spiritualité du soin et de l’attention accordée au plus démuni !
Quel est l’avenir de ces théologies ? En 2002 Gustavo Gutiérrez a dit : « la théologiede la libération est une théologie de vieux », en ce sens qu’elle a été un instrument pour une époque. Cependant de nombreux théologiens contemporains s’y réfèrent, par l’accent mis sur l’incarnation, sur la notion d’un Dieu souffrant à cause de son engagement avec les humains, sur la force transformatrice de l’Esprit, et l’attention à l’écologie. Il s’agit de « vivre l’Évangile plutôt que l’annoncer » ! Les théologies féministes sont en plein essor en Amérique du Sud et du Nord, particulièrement actives au Québec et aussi dans les pays émergents ; les interventions de théologiennes d’Afrique et d’Asie au dernier forum altermondialiste à Dakar en 2011 l’ont montré. Ces théologies semblent donc avoir devant elles un bel avenir de réflexions et de combats subversifs pour une réelle parité des femmes et des hommes.
Claude Dubois
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