L’intégration des immigrés
Comment la France « universaliste », qui refuse de se structurer en communautés, absorbe-t-elle les immigrés ? Le sujet alimente beaucoup de phantasmes et, pour être sérieuses, les réponses nécessitent de la rigueur, à commencer par celle du vocabulaire utilisé. La Martiniquaise de couleur croisée dans le métro est française ; le retraité anglais installé dans le Périgord est immigré. Le terme d’ « immigré » s’applique aux personnes nées étrangères à l’étranger et résidant en France (incluant donc celles devenues françaises par naturalisation) et celui de « descendant d’immigré » aux personnes nées et vivant en France, dont un au moins des parents immigré. Le rythme d’absorption des immigrés se mesure par exemple par le taux des naturalisations ou celui des mariages mixtes dans la seconde génération.
L’intégration se mesure à partir de données provenant du recensement ou d’enquêtes structurelles, par des outils définis au sein de l’Union Européenne qui permettent d’effectuer des comparaisons avec la population autochtone et de cibler les politiques à mettre en place. Sont actuellement retenus quatre domaines fondamentaux : l’emploi, l’éducation, l’inclusion sociale et la citoyenneté active.
Retenons rapidement de l’étude très détaillée publiée par l’INSEE l’an dernier et en particulier du document « Vue d’ensemble » de Gérard Bouvier que les conditions de vie des immigrés et descendants d’immigrés en France sont moins bonnes que celles des autres résidents. Les constats sont généralement défavorables aux immigrés mais le sont moins pour les descendants d’immigrés, relativement au reste de la population. Cependant, ils doivent toujours être nuancés : très souvent, une partie importante des écarts de situations entre immigrés, descendants d’immigrés et le reste de la population résulte en fait d’une combinaison de facteurs sociodémographiques (dont le sexe, l’âge, le niveau d’éducation, les conditions d’emploi, les catégories socioprofessionnelles, le lieu de résidence etc.).
Les immigrés accèdent difficilement aux emplois les plus qualifiés
Les immigrés sont surreprésentés dans les catégories socioprofessionnelles ouvriers et employés. Cependant, la mobilité sociale s’opère : s’ils sont moins souvent présents chez les cadres ou les professions intermédiaires que les ni immigrés ni descendants d’immigrés, les descendants d’immigrés le sont plus souvent que les immigrés. L’immigration permet aussi de satisfaire des besoins en main-œuvre très qualifiée, parfois très spécifiques : la forte présence de médecins immigrés dans la fonction publique hospitalière en est une illustration.
Les conditions de logement des immigrés sont moins favorables, mais l’écart avec l’ensemble de la population s’atténue
Deux tiers des ménages français vivent dans des logements de bonne qualité. Cette proportion est de l’ordre de 59% pour les descendants d’immigrés et de seulement 45% pour les immigrés dont les origines sont extra-européennes.
Le niveau de vie médian des immigrés est inférieur de 30% au niveau de vie médian en France
Cet écart n’est plus que de 12 points pour les descendants d’immigrés. De même, le taux de pauvreté, qui s’établit en 2009 à 13,5% sur l’ensemble de la population, est encore très élevé pour les personnes vivant dans un ménage immigré (37%), mais n’est plus que de 20% pour les descendants.
Les situations familiales des enfants d’immigrés sont moins favorables à la réussite scolaire
Plus de la moitié d’entre eux appartiennent aux 25% des familles ayant le niveau de vie le plus faible. Leur mère ou leur père est plus souvent non diplômé. Un enfant d’immigré sur deux appartiennent à une fratrie de quatre enfants ou plus, contre un enfant de famille mixte sur quatre et un de famille non immigrée sur cinq. Par rapport à ces derniers, ils disposent deux fois moins souvent d’une chambre individuelle et étudient trois fois plus fréquemment dans un collège d’éducation prioritaire. Lorsqu’on neutralise l’effet de ces variables, en menant des comparaisons toutes choses égales par ailleurs, il apparaît que les enfants d’immigrés ont des résultats à l’épreuve de mathématiques de 6ème identiques à ceux des autres élèves et moins de deux points sur cent les séparent en français. Les enfants d’immigrés ont même une probabilité moins forte de redoubler ou d’être orientés en Sections d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (SEGPA).
La réussite scolaire des enfants d’immigrés par rapport à celle de la population qui n’est ni immigrée ni issue de l’immigration est analysée à travers deux indicateurs : ne posséder aucun diplôme du second cycle de l’enseignement secondaire d’une part, être titulaire du baccalauréat quelle que soit la série d’autre part. Au regard de ces deux critères, les parcours des enfants d’immigrés sont très différenciés selon le pays de naissance des parents. Ces différences par origine s’estompent lorsque l’on tient compte des caractéristiques sociodémographiques et familiales, mais elles ne disparaissent pas toutes.
Les enfants d’immigrés venus d’Algérie, d’Espagne ou d’Italie sont surreprésentés parmi les non-diplômés du second cycle du secondaire, « toutes choses égales par ailleurs ».
S’agissant de l’obtention du baccalauréat, les fils et filles de l’immigration turque sont en situation de sous-réussite, tandis que les fils et les filles de l’immigration du sud-est asiatique sont en situation de sur-réussite. Et les filles de l’immigration marocaine ou tunisienne, et dans une moindre mesure celles de l’immigration sahélienne, obtiennent plus souvent un baccalauréat que les filles ni immigrées ni enfants d’immigrés, si l’on raisonne à caractéristiques sociales et familiales données.
L’intégration comme regards croisés
En France, les personnes se définissent globalement d’abord par leurs centres d’intérêt, puis en lien avec la famille, en troisième lieu selon leur travail. Les éléments d’origines (y compris nationalité ou région) sont bien moins porteurs de l’identité, mais plus que les opinions politiques ou la religion. Les immigrés et descendants d’immigrés ne suivent que partiellement ce schéma. La famille reste un élément important de l’identité mais les origines et (ou) la nationalité dépassent en importance le travail ou les centres d’intérêts. A l’inverse, les descendants d’un immigré et d’un non-immigré se rapprochent des ni immigrés ni descendants d’immigrés. Ils ne se définissent que très peu à travers leur religion, alors que c’est le cas d’environ un cinquième des immigrés ou descendants de deux immigrés. Les immigrés déclarent se sentir chez eux en France, pour 89% d’entre eux, contre 94% de l’ensemble de la population. Il y a donc adhésion tant au pays d’accueil qu’aux origines, ce que confirment les pratiques courantes de double nationalité. Cependant, plus d’un immigré et d’un descendants d’immigré sur deux déclarent qu’« on ne les voit pas comme des Français ».
Lucienne Gouguenheim.
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