A propos de la prière du 15 août 2012, des réactions…

Texte de Jacques Fraissignes, prêtre ouvrier membre de « David et Jonathan »

Le cardinal Vingtrois nous invite à la prière.

Je ne sais guère prier. Du moins, je ne sais pas demander à Dieu de faire à ma place ce que me dicte ma conscience.

Prier, serait pour moi regarder la réalité qui m’entoure, le faire avec le regard de Jésus, me demander si j’ai bien vu, si l’apparence ne me cache pas la réalité profonde, si mon regard étroit voit dans chaque homme ou chaque femme l’image de Dieu qu’ils représentent.

La réalité est là, incontournable. Le couple homo existe, il est bien visible.

Les partenaires n’ont pas fait un choix. Ils sont nés avec ce désir particulier qui les pousse vers une personne de leur sexe et l’impossibilité d’investir leur vie affective dans une relation hétérosexuelle.

Ce couple homosexuel est riche d’amour et fécond, sinon d’enfants, du moins d’engagements et de services généreux. Ce couple a été reconnu par la loi et le Pacs lui a apporté un surcroît de stabilité et de sereine visibilité. Gais et lesbiennes demandent que leur soient reconnus les mêmes droits que ceux qui sont donnés aux couples mariés. Parmi ces couples, de nombreux se reconnaissent chrétiens et célèbrent comme un don de Dieu l’amour qui les unit. Ils témoignent de cette réalité dans leurs communautés religieuses comme ils le font dans la vie quotidienne. Nombreux sont

les croyants et les pasteurs qui leur rendent témoignage et partagent leur désir de reconnaissance.

Xavier Thévenot écrivait:  » Des couples gais m’ont évangélisé? »

De tout cela, je veux rendre grâces et je souhaiterais que les communauté de croyants en fassent autant.

Dans ma prière, je vois que la famille homoparentale existe, qu’il s’agisse de famille reconstituée ou d’enfants voulus ou adoptés. Je vois le long le travail sur eux-mêmes que font ces couples avant de pendre une telle décision. Combien de familles font-elles un tel travail avant de concevoir un enfant ? J’ai eu à préparer le baptême d’un de ces enfants. A le voir vivre dix ans plus tard, je n ai pas constaté qu’il ait eu a souffrir de deux parents masculins. De nombreuses études confirment ce constat.

Mais ma prière devient colère quand je vois mes frères et soeurs homosexuels subir la suspicion et le déni apporté par un prélat qui prétend parler au nom de tous les chrétiens de France et refuser toute réflexion sur le mariage homosexuel et la possibilité de faire famille en accueillant des enfants. De quel droit peut-il refuser la réalisation de ces légitimes aspirations? L’a-t-on entendu tirer argument des paroles de Jésus au nom de qui il prétend parler? Mis à part le rappel de la fidélité entre époux, Jésus a-t-il jamais condamné ni rejetée une personne qui vivait une sexualité différente ? L’accueil qu’il fait à ces personnes paraît même laxiste à ses ennemis.

Et même si ce prélat croit avoir autorité sur les croyants catholiques, au nom de quoi prétend-il interdire le droit à de légitimes revendications à ceux qui ne se recommandent pas de cette foi ?

Ma prière devient solidarité. Le monde évolue et la façon de vivre la sexualité et de faire famille évolue en même temps. Loin de nous crisper sur des réponses d’un autre temps, ces changements sont appel à notre conscience à discerner ce qui fait grandir chaque personne, ce qui la rend plus humaine, plus « image de Dieu ».

Mais que ceux qui parlent au nom de Jésus nous incitent à grandir en humanité, loué soit Dieu! Loin de s’accrocher à une Loi, Jésus a-t-il fait autre chose que d’appeler ceux qui venaient à lui à vivre en plénitude ?

Jacques Fraissignes

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Les journaux de ce 14 aout 2012 se font l’écho de la « proposition nationale pour une prière des fidèles » formulée par l’épiscopat français pour la fête de l’Assomption, en la présentant comme une prière « anti mariage homosexuel ». Ce texte est accessible sur le site http://www.eglise.catholique.fr/accueil.html.

En complément à la réaction de Jacques Fraissignes, voici quelques remarques sur le texte lui-même et sur la démarche de l’épiscopat :

– Comme trop souvent, le texte concerné est un magnifique exemple de « langue de buis », ampoulé, allusif et plein de beaux mots fourre-tout : générosité, solidarité, conscience, fidélité, tendresse, engagement, bonheur, amour…  que personne ne peut récuser. On dit un peu sans dire vraiment, sans doute dans la recherche illusoire d’une pseudo-unanimité, alimentée par l’incapacité de l’institution ecclésiale à affronter et gérer sainement les divergences et les conflits.

– Une fois de plus, Marie est instrumentalisée au service de causes, l’avenir de la France et la défense d’un modèle familial unique, bien éloignées du contexte dans lequel a vécu la mère de Jésus de Nazareth. En rappelant en introduction à cette prière que « la France a été placée sous le patronage de la Vierge Marie », l’épiscopat se garde bien de rappeler les conditions de ce « vœu de Louis XIII », destiné surtout à assurer sa postérité et sa domination sur ses sujets.

– Sur le fond, Mgr Podvin, ce 14 aout sur France Inter, a dit et redit que la demande de l’Eglise catholique est avant tout la tenue d’un vrai débat de société autour des questions de la famille et des limites de la vie. Cette demande est légitime, mais le plus simple ne serait-il pas de donner l’exemple et de commencer par ouvrir le débat parmi les chrétiens catholiques ? Qui a été consulté pour la rédaction de cette proposition de prière ? A quand de vraies assemblées d’Eglise, avec de vrais débats contradictoires, une prise en compte de la vraie vie des gens ? Quand fera-t-on confiance aux femmes et aux hommes qui cherchent à vivre l’Evangile dans toutes les situations contemporaines et tracent des chemins inédits ?

– Mgr Podvin a eu le mérite de la clarté au moins sur un point : il a régulièrement évoqué la position « de l’Eglise » et a fort peu fait référence à l’Evangile, et pour cause… Or « l’Eglise » dont il parle est une société hiérarchique presque exclusivement composée d’hommes célibataires, dont la parole est en outre verrouillée au plus haut niveau. Comment imaginer que ces hommes, aussi ouverts soient-ils, puissent prendre en compte la complexité et la richesse des situations réellement vécues au quotidien par les femmes et les hommes de ce temps ? Cela dit, puisqu’il s’agit d’une « proposition », que chaque communauté s’en empare et prenne ses responsabilités ! Les chrétien(ne)s sont adultes et il serait intéressant de voir ce qui sera réellement prononcé demain dans les églises de France.

– Enfin, la démarche de l’épiscopat français ne peut pas être séparée de celle du Vatican envers les religieuses américaines qui, fortes de leur expérience de terrain, proposent une parole autre sur toutes ces questions de société… et sont vertement rappelées à l’ordre! Heureusement, elles continuent leur combat, et nous continuons le nôtre, car le message de l’Evangile ne sera jamais la propriété de quelque personne ou quelque institution que ce soit.

Marie-Anne Jehl

Jonas Alsace Réseaux des Parvis

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« N’ayez pas peur de l’homosexualité »

LE MONDE | 21.08.2012 à 14h47 • Mis à jour le 22.08.2012 à 10h25

Par Jean-Pierre Mignard, avocat à la cour

Défendre la famille et appeler à prier pour elle dans un pays à bonne progression démographique sous-entend qu’elle est menacée. Le mariage de couples gays serait-il de nature à bouleverser la famille et le droit de l’enfant ?

L’Eglise a le droit de s’immiscer dans ce débat législatif. Il s’agit d’une liberté d’expression indiscutable qui ne porte ni de près ni de loin atteinte à la laïcité. Son opinion est d’autant plus utile que le mariage figure dans la liste de ses sacrements. Le cardinal-archevêque, en qualité de président de la Conférence épiscopale, peutfaire lire une prière pour le moins réservée sur le mariage gay, mais de quelle opinion est-elle le reflet en dehors de celle de la hiérarchie ?

Selon un sondage IFOP, 65 % des Français seraient favorables au mariage homosexuel et 53 % à l’homoparentalité. L’indication dans le même sondage que 45 % des catholiques ne seraient pas opposés au mariage homosexuel est plus singulière. On doit dès lors regretter que n’ait pas été organisée une discussion entre les catholiques, invités à prier certes, mais pas à « discerner » entre eux et à haute voix. Il n’est pas trop tard.

Il convient en effet de vider une vieille querelle avant même de s’engouffrer dans l’affaire du mariage. L’homosexualité est-elle ou non une des déclinaisons naturelles de la sexualité ? Le mariage gay, au sujet duquel les divergences sont concevables, justifie qu’une ambiguïté soit levée. La thèse officielle désigne cette sexualité sous le vocable de « désordre ».

Ranger les homosexuels, avec d’autres, parmi les « accidentés de la vie », exprime un sentiment compassionnel, mais ne les considère pas comme des sujets de droit. Plus inquiétant, une instruction de 2005 du Vatican exclut les homosexuels du ministère ordonné, sauf si cette sexualité est « transitoire ». Le Saint-Siège maintient une position hostile à la dépénalisation de l’homosexualité lors des débats aux Nations unies. Cela le place en compagnie de régimes qui continuent pour certains d’infliger la peine de mort aux homosexuels. Il s’agit d’une « véritable tragédie pour les personnes concernées et [d’une] atteinte à la conscience collective », selon les mots du secrétaire général Ban Ki-moon. Cette humiliation était-elle bien nécessaire ?

En tant que catholique et citoyen de la République, je souhaite entendre l’Eglise de France sur ce point précis. Nous sommes nombreux à le souhaiter, dans et hors l’Eglise. Si celle-ci veut intervenir dans le débat public, et je me range à son droit, elle doit accepter le verdict de l’opinion publique. C’est d’ailleurs un hommage qui lui est rendu, car on attend d’elle des messages en faveur de la dignité humaine.

Il y a peu, le cardinal-archevêque de Lyon, Mgr Philippe Barbarin, évoquait, avec une hauteur chez lui familière, deux grandes figures homosexuelles et chrétiennes, Michel-Ange et Max Jacob. A ces artistes, il disait la gratitude de l’Eglise mais surtout que leur homosexualité était un fait, la situant ainsi hors de portée de tout jugement de valeurs. Cela ne l’a pas amené à se déclarer favorable au mariage gay, mais au moins le fondement d’une discussion purgée de ses peurs et de ses fantasmes est-il rendu possible.

L’ancien cardinal-archevêque de Milan Carlo-Maria Martini allait plus loin et enjoignait aux Etats d’aider les homosexuels à stabiliser leurs unions civiles. Il y a sur le sujet et de toute évidence plusieurs demeures dans la maison du Père…

On conçoit très bien que l’Eglise catholique défende le sacrement de mariage et sa destination première. La solution théologique n’est en effet pas simple. Mais il faut crever l’abcès. Toutes les réserves du monde catholique sont admises à la table des discussions, mais elles ne seront acceptées qu’à la condition, toutefois, de la reconnaissance publique et sans fard de ce que l’homosexualité est une sexualité comme une autre échappant à la sphère du jugement moral et pénal ou du traitement psychiatrique, aussi légitime et digne de reconnaissance que l’hétérosexualité.

Le temps n’est pas encore venu, et on peut le regretter, d’une pastorale pour les homosexuels. Mais est venu celui d’évoquer cette question au sein de l’Eglise et de se délivrer de ces frayeurs, qui ont amené, par exemple, à séparer dans le petit cimetière d’Ebnal (Angleterre) pour les besoins de sa béatification, en 2010, mais contre sa volonté testamentaire, le corps du cardinal britannique John Newman (1801-1890) de celui de son ami le révérend Ambrose St. John, « qu’il aimait d’un amour aussi fort que celui d’un homme pour une femme ». Rien ne dit que ce grand prélat fut gay, rien, mais même cette amitié inquiétait.

Les catholiques doivent pouvoir en débattre au sein de leur communauté, dans des assemblées paroissiales, diocésaines dans leurs associations, là où c’est possible, là où c’est nécessaire, là où c’est désiré. Qu’avons-nous à craindre des paroles puisque nous nous réclamons de la théologie de la Parole ? Nous ne serions pas tous d’accord ? La belle affaire !

C’est ainsi que l’ouverture au monde se fait, ce qui ne signifie pas s’y soumettre. L’Eglise exemplaire dans le dialogue interreligieux se montrerait inapte à tout dialogue intrareligieux ? Les évêques, qui ne sont pas des despotes, devraient oser ce débat. L’historien Michel de Certeau disait dans un trait fulgurant que « c’était au fond du risque que se trouvait le sens ». Et s’il y a bien une injonction biblique et évangélique en forme de leitmotiv c’est : « N’ayez pas peur. »

 

Jean-Pierre Mignard, avocat à la cour