Écrit par Les Réseaux du Parvis |
Dimanche, 27 Décembre 2009 14:42 |
UNE COURTE HISTOIRE DU NEOLIBERALISME.
En 1945 ou 1950, si vous aviez sérieusement proposé l’une des idées ou l’une des politiques du kit standard néolibéral actuel, on vous aurait renvoyé en se moquant de vous ou on vous aurait envoyé à l’asile. A l’époque, dans les pays occidentaux en tout cas, tout le monde était soit keynésien, soit social-démocrate, soit social démocrate-chrétien ou encore marxiste d’une tendance quelconque.
Bien que cela puisse sembler incroyable aujourd’hui, particulièrement aux membres les plus jeunes du public, le FMI et la Banque Mondiale étaient considérés comme des institutions progressistes.
On les appelait parfois les jumeaux de keynes parce qu’ils étaient sortis du cerveau de keynes et de Harry Dexter White, l’un des conseillers les plus proches de Franklin Roosevelt. Quand on a créé ces institutions à Bretton Woods en 1944, leur mandat était d’aider à empêcher des conflits futurs, en prêtant de l’argent pour la reconstruction et le développement et en réglant les problèmes temporaires de balance de paiements.
Elles n’avaient aucun contrôle sur les décisions économiques des gouvernements individuels et leur mandat n’incluait pas le droit d’intervenir dans la politique nationale.
Dans les pays occidentaux, l’Etat Providence et le New Deal avaient fait leur apparition dans les années 30, mais leur développement fut interrompu par la guerre. La première priorité du monde des affaires au moment de l’après-guerre fut de les remettre en place. L’autre chose importante à faire était de redynamiser le commerce mondial – ce fut accompli grâce au Plan Marshall qui faisait une fois de l’Europe le partenaire commercial essentiel des Etats-Unis, la plus puissante économie du monde. Et c’est à ce moment-là que les vents forts de la décolonisation se mirent également à souffler, que la liberté soit obtenue par un accord comme en Inde ou par la lutte armée comme au Kenya, au Vietnam et dans d’autres pays.
Globalement, le monde s’était engagé sur un voie extrêmement progressiste. Le grand savant Karl Polanyi publia son oeuvre majeure, La grande transformation, en 1944, une critique féroce de la société industrielle du XIXe siècle, basée sur le marché. Il y a plus de cinquante ans, Polanyi fit cette déclaration incroyablement prophétique et moderne : » Permettre au mécanisme du marché d’être l’unique directeur du sort des êtres humains et de leur environnement naturel … aurait pour résultat la démolition de la société. » p.73 de l’édition anglaise. Cependant, Polanyi était convaincu qu’une telle démolition ne pourrait plus se produire dans le monde de l’après-guerre car, comme il le dit p.251, » Au sein des nations, nous sommes témoins d’un développement tel que le système économique cesse de dicter sa loi à la société et que la primauté de la société sur ce système est assurée « .
Hélas, l’optimisme de Polanyi n’était pas de mise – l’idée même du néolibéralisme est qu’on devrait autoriser le mécanisme du marché à diriger le destin des êtres humains. L’économie devrait dicter ses règles à la société, et pas le contraire. Et comme l’avait prévu Polanyi, cette doctrine nous mène tout droit à la » démolition de la société « .
Qu’est-il donc arrivé ? Pourquoi en sommes-nous arrivés là un demi-siècle après la fin de la Seconde Guerre mondiale ?
Comment le néolibéralisme a-t-il un jour pu sortir de son ghetto ultra-minoritaire pour devenir la doctrine dominante du monde d’aujourd’hui ?
Pourquoi le FMI et la Banque Mondiale peuvent-ils intervenir à volonté et forcer les pays à participer à l’économie mondiale sur des bases défavorables ?
Pourquoi l’Etat Providence est-ils menacé dans tous les pays où il avait été établi ? Pourquoi frôle-t-on la catastrophe en ce qui concerne l’environnement, et pourquoi y a-t-il tant de pauvres aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres, alors qu’il n’y a jamais eu de richesses qu’aujourd’hui ?
Ce sont ces questions auxquelles il faut répondre d’un point de vue historique.
Commençant par un petit groupe embryonnaire à l’Université de Chicago, avec pour noyau l’économiste philosophe Friedrich von Hayek et ses étudiants comme Milton Friedman, les néolibéraux et leurs fondateurs ont créé un réseau international énorme de fondations, instituts, centres de recherche, publications, chercheurs, écrivains et experts en relations publiques pour développer, bien présenter et attirer sans arrêt l’attention sur leurs idées et leur doctrine.
Ils ont construit ce cadre idéologique extrêmement efficace car ils ont compris de quoi l’intellectuel marxiste italien Antonio Gramsci parlait lorsqu’il développait le concept d’hégémonie culturelle. Si vous pouvez occuper la tête des gens, leur coeur et leurs mains suivront. Le travail idéologique et promotionnel de la droite a été absolument remarquable. Ils ont dépensé des centaines de millions de dollars, mais le résultat en valait la chandelle, car ils ont fait apparaître le néolibéralisme comme la condition naturelle et normale de l’homme. Peu importent le nombre de désastres en tout genre que le système néolibéral a visiblement engendrés, peu importent les crises financières qu’il peut entraîner, peu importe combien de perdants et d’exclus il peut créer, tout est fait pour qu’il semble inévitable, comme une action divine, le seul ordre économique et social possible qui nous soit accessible.
Je voudrais insister sur l’importance de comprendre que cette vaste expérience néolibérale que nous sommes tous forcés de vivre a été par des gens à dessein. Une fois que vous avez saisi ceci, une fois que vous avez compris que le néolibéralisme n’est pas une force comme la gravité mais une construction totalement artificielle, vous pouvez aussi comprendre que ce que certains ont crée, d’autres peuvent le changer. Mais ils ne pourront pas le changer s’ils ne reconnaissent pas l’importance des idées.
SUSAN GEORGE.
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